Le profit joue un rôle fondamental dans la théorie keynésienne. En effet, la prévision du taux de profit par les entrepreneurs apparaît comme l'un des facteurs clés de la détermination de l'investissement et donc du niveau de l'activité économique.
Le profit peut être défini comme la rémunération du capital. Cette définition très générale est trop imprécise pour être utilisée par les comptables qui préfèrent utiliser d'autres termes. En comptabilité privée, la notion de profit se rapproche de celle de bénéfice mais elle en diffère par certaines règles de valorisation. En macroéconomie, le profit des entreprises est souvent assimilé à l'excédent net d'exploitation de la comptabilité nationale, pourtant il en diffère sur un certain nombre de points. Tout d'abord, l'excédent net d'exploitation n'exclut pas l'impôt sur les bénéfices des entreprises, à l'inverse il n'inclut pas les revenus financiers et les plus-values.
En fait, l'excédent net d'exploitation ne mesure pas le profit car il ne représente que la part de la valeur ajoutée rémunérant le capital, or le profit ne provient pas nécessairement de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la création de richesse, il peut également provenir de la richesse déjà existante, soit par des transferts, notamment les revenus de la propriété, soit par des plus-values, notamment lors des activités spéculatives.
L'imprécision de la définition du profit présente cependant l'avantage de permettre une appréhension globale des grands phénomènes économiques qui limite le risque de se perdre dans la précision des détails. Dans toute la suite de l'exposé nous ne chercherons donc pas à préciser davantage la notion de profit.
Le taux de profit se calcule en comparant la valeur d'un actif à la série de revenus qu'il génère dans le futur pour son propriétaire. Pour simplifier l'exposé nous éliminerons les questions liées au risque et à l'échelonnement dans le temps des revenus. Cette première simplification ne peut cependant nous permettre d'éviter une question essentielle : si le taux de profit est obtenu en comparant la valeur d'un actif aux revenus qu'il doit générer dans le futur, comment le déterminer puisque la théorie économique nous enseigne que la valeur d'un actif est déterminée en actualisant les revenus futurs par le taux de profit ? En d'autres termes, pour une série de revenus futurs donnée est-ce la valeur de l'actif qui détermine le taux de profit ou le taux de profit qui détermine la valeur de l'actif ?
Pour répondre à cette question il faut distinguer clairement entre une approche comptable et une approche économique. L'approche comptable permet de déterminer un taux de profit en comparant la valeur d'un actif au moment de son acquisition et les revenus qu'il a effectivement générés au cours de sa vie. En toute rigueur, le taux de profit ne peut être connu qu'après la période d'utilisation de l'actif. L'approche économique vise à expliquer le comportement des agents économiques, c'est-à-dire dans le domaine qui nous intéresse, leurs décisions d'acquérir ou de vendre des actifs. Celles-ci ne peuvent être prises qu'en comparant la valeur de l'actif sur le marché à leurs prévisions de revenus futurs.
Le premier point important est celui-ci : lorsqu'il s'agit d'étudier le comportement des agents, le taux de profit pertinent est un taux prévisionnel.
Le taux de profit effectif n'est connu que bien après la décision et ne peut donc l'influencer. Puisque chaque agent est libre de réaliser ses propres prévisions il peut y avoir autant de taux de profit prévisionnels que d'agents. Au niveau macroéconomique, il est donc impossible de parler d'un taux de profit prévisionnel unique.
L'étude de la détermination du profit nécessite de faire appel à des considérations qui relèvent aussi bien de la microéconomie que de la macroéconomie. Traditionnellement, deux approches coexistent en microéconomie. La première se situe dans le cadre de rendements décroissants, c'est-à-dire de coûts unitaires de production croissant avec les quantités produites. Dans ce modèle, l'entreprise va commencer à produire si le prix du marché est supérieur au coût de production unitaire, puis elle va développer sa production jusqu'à ce que le niveau des coûts atteigne le prix du marché. Dans ces conditions, le profit réalisé est positif pour toutes les unités produites à l'exception de la dernière pour laquelle le profit est nul. Le profit global de l'entreprise est alors positif.
La deuxième approche se situe dans le cadre de rendements constants, c'est-à-dire dans le cas où toutes les unités produites ont le même coût. La théorie microéconomique démontre que le profit est alors nul. En effet, sous l'hypothèse que l'entreprise cherche à maximiser son profit, un profit positif aurait pour conséquence d'inciter l'entreprise à augmenter sans cesse sa production jusqu'à la rendre infinie.
Ces deux approches peuvent paraître incompatibles, pourtant elles ne le sont pas réellement. Les rendements décroissants ne peuvent apparaître que lorsque l'un des facteurs de production, par exemple les bâtiments, ne croît pas aussi vite que la production, ce qui rend cette dernière de moins en moins efficace. Ce modèle est typiquement un modèle de court terme où le capital de l'entreprise est fixe. En effet, à moyen terme, on voit mal pourquoi une entreprise qui doublerait tous ses moyens de production ne verrait pas sa production et ses coûts doubler également. Rappelons, en effet, que l'hypothèse de base de la microéconomie est qu'une entreprise particulière n'a pas d'impact sensible sur le marché et qu'elle peut donc acheter et vendre autant qu'elle le souhaite sans influer sur les prix. Un modèle de moyen terme sera naturellement un modèle à rendements constants puisque l'entreprise peut investir pour augmenter ses capacités de production.
Les profits seraient-ils donc positifs à court terme et nuls à moyen terme ? En fait non, car les deux approches ne font pas référence à la même définition du profit.
Dans les deux cas, le raisonnement doit être tenu en termes de coût marginal, c'est-à-dire du coût de production d'une unité supplémentaire. Dans une approche de court terme, le coût marginal ne comprend pas les frais financiers, du moins si nous négligeons les frais liés au financement du fonds de roulement. En effet, si l'on suppose que le capital reste inchangé, les intérêts payés par l'entreprise sur les emprunts qui ont financé les investissements sont des coûts fixes et non des coûts marginaux puisqu'ils doivent de toute manière être payés indépendamment du niveau de la production. Les dividendes, quant à eux, ne correspondent pas à des éléments de coût mais à une distribution des profits.
Dans une approche de moyen terme, les choses sont différentes. En effet, pour augmenter sa production l'entreprise doit non seulement accroître ses consommations intermédiaires et ses salaires, mais aussi investir pour accroître sa capacité de production. L'entreprise prendra la décision d'investir ou non en comparant deux taux : le taux de profit qu'elle pense tirer de son investissement et le taux de rendement des actifs financiers disponibles sur le marché. Le profit correspond ici au revenu que l'entreprise tire de son investissement avant paiement des frais financiers générés par son investissement. Pour simplifier, nous supposerons que le taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché est unique.
Pour financer ses investissements l'entreprise peut choisir entre un appel à l'emprunt, une augmentation de capital par émission d'actions ou le recours à l'autofinancement. Si l'entreprise fait appel à l'emprunt elle devra payer des intérêts, si elle émet des actions elle devra payer des dividendes à ses nouveaux actionnaires, si elle fait appel à l'autofinancement elle renonce aux revenus qu'elle aurait pu obtenir en acquérant des actifs financiers plutôt qu'en investissant. Dans tous les cas, du point de vue des actionnaires de l'entreprise, c'est-à-dire du point de vue de ceux qui, au moins en théorie, décident de l'investissement, ces éléments apparaissent comme des coûts. En effet, les intérêts payés viennent en déduction du bénéfice et donc du revenu des actionnaires, l'émission d'actions correspond à un partage du bénéfice avec de nouveaux actionnaires et l'autofinancement correspond à un manque à gagner.
À moyen terme et sous les hypothèses retenues par la microéconomie, la libre concurrence sur le marché impose que le taux de profit prévisionnel que l'entreprise espère tirer d'un nouvel investissement soit au moins égal au taux de rendement des actifs financiers tel qu'il est effectivement déterminé par le marché. En effet, l'entreprise ne peut pas entreprendre un investissement générant un taux de profit inférieur au taux de rendement financier car elle aurait alors intérêt à acheter des actifs financiers plutôt que de réaliser cet investissement.
Que se passe-t-il si le taux de profit de l'investissement est supérieur au taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché ? Si l'investissement est financé par émission d'actions, chaque nouvelle action donne droit à une part du bénéfice de l'entreprise, son prix au moment de l'émission étant déterminé par le marché de telle manière que le rapport entre la part du bénéfice auquel elle donne droit et son prix soit égal au taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché. Si le taux de rendement des actifs financiers est faible, les nouveaux actionnaires se contenteront d'une part des bénéfices relativement faible, ce qui profitera aux anciens actionnaires.
Par exemple, si le taux de rendement financier sur le marché est de 8% et que le taux de profit d'un nouvel investissement est de 10%, un investissement de 100 rapportera un bénéfice supplémentaire de 10 mais les nouveaux actionnaires se contenteront d'une rémunération au taux du marché, c'est-à-dire de 8, la différence de 2 viendra augmenter la rémunération des anciens actionnaires. Si le nouvel investissement était de 1000 les anciens actionnaires augmenteraient leur rémunération de 20. Le phénomène est le même si l'investissement est financé par l'emprunt, il s'agit de l'effet de levier bien connu qui profite également aux actionnaires.
Ainsi, si le taux de profit généré par l'investissement de l'entreprise était supérieur au taux de rendement des actifs financiers, les actionnaires de l'entreprise auraient intérêt à faire croître le plus possible leur investissement, c'est-à-dire si l'on accepte le point de vue de la microéconomie selon lequel une entreprise particulière ne peut pas influencer le marché, jusqu'à l'infini, niveau où le point de vue de la microéconomie n'est plus acceptable.
Ce raisonnement par l'absurde montre que les hypothèses retenues par la microéconomie sont incompatibles avec l'existence d'un taux de profit des investissements supérieur au taux de rendement des actifs financiers. Comme nous avons vu que le taux de profit des investissements ne peut pas non plus être inférieur au taux de rendement des actifs financiers, nous pouvons en déduire que les hypothèses retenues par la microéconomie impliquent que le taux de profit des nouveaux investissements est nécessairement égal au taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché.
En fait, ce raisonnement montre que l'égalité entre le taux de profit généré par les actifs de l'entreprise et le taux de rendement des actifs financiers sur le marché est la seule possibilité pour que, à moyen terme, la production de l'entreprise soit différente de zéro ou de l'infini. Dans ce cas, le niveau de production de l'entreprise lui est indifférent, si bien que le niveau de production global ne peut être déterminé qu'au niveau macroéconomique.
Notons qu'il y a deux manières de concevoir ce résultat, la première est de considérer que le financement d'un nouvel investissement représente un coût pour les actionnaires qui le décident, ce qui conduit à un profit nul n'incitant pas l'entreprise à se développer, la seconde est de considérer que ce que cherche à maximiser une entreprise n'est pas son profit global mais son profit par action car, pour chaque actionnaire, c'est ce critère et non le profit global qui importe, si bien qu'à moyen terme la taille de l'entreprise, et donc son niveau de production, lui apparaissent sans importance. Dans la suite de l'exposé nous n'utiliserons la notion de profit que comme la rémunération du capital au sens large, c'est-à-dire sans déduction des revenus de la propriété.
Négligeons dans un premier temps les impôts et supposons que les seuls facteurs de production soient le capital fixe et le travail. Au niveau macroéconomique, le profit apparaît alors principalement comme le résultat du partage de la valeur ajoutée entre salariés et propriétaires du capital, si bien qu'il est difficile d'étudier le profit sans étudier dans le même temps la détermination des salaires.
Au niveau global, c'est la loi de l'offre et de la demande qui détermine les prix aussi bien sur le marché du travail que sur ceux des biens et des actifs financiers. Le travail est une source de revenu pour les salariés mais il réduit leur temps disponible pour les loisirs et est pénible. Une hausse du taux de salaire horaire génère pour les salariés un revenu supplémentaire qui va pouvoir compenser de nouveaux sacrifices en termes de loisirs et de pénibilité, elle amène donc généralement à une hausse de l'offre de travail.
Cependant, il est possible, au moins en théorie, qu'après une hausse du taux de salaire les salariés préfèrent travailler moins pour accroître leurs loisirs tout en maintenant leur niveau de vie. Inversement, une baisse du taux de salaire horaire peut conduire à une baisse de l'offre de travail mais elle peut également conduire à une hausse si les salariés sont si pauvres qu'ils doivent compenser la baisse du taux de salaire par plus travail afin de conserver un niveau de vie acceptable. Pour les entreprises, la hausse du taux de salaire a pour conséquence une réduction de leur demande de travail, sa baisse se traduit par une hausse de la demande.
En période de croissance, plus on se rapproche du plein emploi et plus les entreprises doivent augmenter le taux de salaire pour satisfaire leur demande de travail. Si les salariés ne répondent pas à la hausse du taux de salaire par un accroissement de leur offre de travail, la croissance se bloque. Si les salariés répondent à cette hausse du taux de salaire par une hausse de leur offre de travail, la croissance peut se poursuivre, mais avec des taux de profit diminués si l'on suppose les prix des produits et les techniques de production inchangés.
La hausse des salaires n'est cependant pas le seul élément susceptible de réduire le profit lorsque le niveau de production s'accroît. Les consommateurs peuvent, en effet, être réticents à accroître leur consommation s'ils estiment avoir atteint leur niveau de saturation. Dans ce cas, les entreprises peuvent être amenées à baisser leur prix pour poursuivre leur croissance. Là encore, ce sera au prix d'une baisse des taux de profit.
La rareté des ressources naturelles peut également être la cause de la baisse du taux de profit lorsque le niveau de la production s'élève. Les ressources naturelles, par exemple les terrains, constituent un élément du capital productif des entreprises mais elles diffèrent du capital fixe en ce qu'elles ne peuvent pas être produites. Lorsque les économistes classiques évoquaient la baisse des taux de rendement ils faisaient toujours référence à la rareté des terres cultivables et à la nécessité de mettre en exploitation des terres de moins en moins fertiles pour accroître la production. Ce sont alors les coûts de production unitaires exprimés en unités physiques qui augmentent et non plus seulement leurs prix.
En l'absence de progrès technique, la rareté des facteurs de production impose un plafond à la production. L'analyse précédente montre que plus la production se rapproche de ce plafond et plus le profit baisse. Cela soulève trois questions : la première est de savoir si la production peut atteindre son plafond, la deuxième est de savoir si elle peut s'y maintenir, la troisième est de savoir jusqu'à quel niveau le taux de profit va descendre.
La théorie keynésienne montre que deux obstacles peuvent empêcher la production d'atteindre son plafond : le taux de rendement des actifs financiers et l'insuffisance de la demande. Lorsque le taux de profit baisse, l'investissement devient moins attractif, les entreprises ont moins besoin de financement, si bien que leur offre de titres baisse aussi. La loi de l'offre et de la demande va faire monter le prix des titres, c'est-à-dire baisser leur taux de rendement. Ce raisonnement pourrait nous amener à penser que le rendement des actifs financiers suit nécessairement la baisse du taux de profit. Malheureusement, ce n'est pas le cas pour une raison fondamentale : l'offre de titres ne provient pas uniquement des entreprises, les ménages qui détiennent des titres sont potentiellement aussi bien offreurs que demandeurs de titres.
Ainsi, même si l'offre de titres par les entreprises est nulle, l'offre de titres par les ménages ne l'est pas et le prix des titres va se stabiliser, si bien que le taux de rendement des actifs financiers ne descendra jamais en-dessous d'un certain plancher. Ce plancher est également un plancher pour le taux de profit puisque l'entreprise a toujours la possibilité d'acquérir des titres plutôt que d'investir. Il se peut donc que lorsque le niveau de la production s'élève, le taux de profit atteigne son plancher et bloque la croissance de la production avant que celle-ci n'ait atteint son plafond. Le taux de rendement que procure la spéculation financière constitue également un plancher indépendant du mécanisme d'offre et de demande de titres.
L'insuffisance de la demande constitue cependant le principal obstacle à la croissance de la production. En effet, le multiplicateur keynésien met en évidence le lien entre le niveau de la production et celui de l'investissement, plus précisément celui de l'investissement net. Ainsi, au niveau maximum de la production correspond un investissement net donné. Rien ne garantit que l'investissement net réel puisse effectivement atteindre ce seuil. En effet, l'investissement net est lui-même dépendant des perspectives de croissance. Plus la production se rapproche de son plafond, plus les perspectives de croissance diminuent et moins l'investissement net devient utile. En effet, un investissement ne peut être entrepris que s'il a pour conséquence d'accroître le niveau de la production, dans le cas contraire il se traduirait par des coûts inutiles pour l'entreprise.
Le principal enseignement de la théorie keynésienne est certainement de montrer que, en l'absence de progrès technique, la production ne peut se maintenir à son niveau maximum, elle ne peut d'ailleurs se maintenir de manière durable à aucun niveau. En effet, la stabilité de la production implique des perspectives de croissance nulles, si bien que l'investissement net ne peut être positif. L'épargne des ménages est alors nulle, ce qui n'est compatible qu'avec un niveau très faible du revenu et de la production. Il arrive donc nécessairement un moment où la croissance s'arrête et où commence une phase de décroissance.
Lors des phases de décroissance, il faut remettre en cause l'hypothèse selon laquelle l'entreprise redistribue tout son revenu aux ménages. En effet, il se peut que la production diminue plus rapidement que le capital fixe, ce qui a pour conséquence de faire apparaître des capacités de production excédentaires. Or, dans ce contexte, la consommation de capital fixe devient un coût fixe pour l'entreprise puisqu'elle n'a pas intérêt à renouveler son capital. Le coût marginal est alors égal à la somme des consommations intermédiaires et des salaires. Puisque les entreprises vont fixer leur prix de vente de telle manière qu'il soit égal au coût marginal, la valeur de la production est aussi égale à la somme des consommations intermédiaires et des salaires, c'est-à-dire que la valeur ajoutée brute est égale aux seuls salaires. Pour calculer le bénéfice des entreprises, il faut déduire de la valeur ajoutée brute les salaires, la consommation de capital fixe et les intérêts payés. Le bénéfice devient alors une perte égale à la somme de la consommation de capital fixe et des intérêts payés. Puisque les entreprises réalisent des pertes, elles ne distribuent pas de dividendes, le revenu qu'elles distribuent est égal à la somme des salaires et des intérêts. On a donc :
(1) VAB = S
où VAB désigne la valeur ajoutée brute et S les salaires,
(2) VAB = C + I
où C désigne la consommation finale et I l'investissement brut.
Puisque l'investissement brut est nul, les équations (1) et (2) donnent :
(3) S = C
Mais, si nous désignons par RM le revenu des ménages et supposons une fonction de consommation simplifiée :
(4) C = a.RM
On a :
(5) S = a.RM
Par ailleurs :
(6) RM = S + i
où et i désigne les intérêts payés.
En combinant les équations (5) et (6) nous obtenons :
(7) RM = i / (1-a)
On retrouve ici la formule du multiplicateur keynésien mais l'investissement est remplacé par les intérêts payés. Dans la mesure où ces intérêts sont liés au capital, ils sont amenés à décroître avec lui. Ainsi, le fait que les entreprises distribuent plus de revenus que leur valeur ajoutée ralentit la chute de l'activité mais ne l'arrête pas. La reprise n'interviendra que lorsque le capital fixe aura suffisamment diminué pour que les perspectives de croissance redeviennent crédibles et justifient de nouveaux investissements.
En conclusion de cette analyse nous pouvons noter deux points, le premier est que le profit est très largement lié à la croissance, le second est qu'en période de récession aucune baisse du taux de salaire ne peut permettre de rétablir le profit puisque, sous l'hypothèse de concurrence parfaite, la fixation du prix au coût marginal a pour conséquence que toute baisse des salaires se traduit, non pas par une hausse des profits, mais par une baisse des prix.
L'étude précédente montre que la microéconomie et la macroéconomie donnent des visions très différentes de l'économie. En effet, alors que la microéconomie montre que la loi de l'offre et de la demande assure un équilibre général correspondant à la meilleure situation possible, la macroéconomie présente un monde instable où périodes de croissance et de dépressions se succèdent. Il est important de comprendre l'origine profonde de ce désaccord.
La spécificité de la macroéconomie réside principalement dans l'introduction de la problématique de l'accumulation au coeur de son raisonnement, alors que celle-ci reste très largement ignorée de la microéconomie. Plus précisément, la théorie keynésienne montre comment les volontés d'accumuler des entreprises et des ménages peuvent devenir incompatibles. L'accumulation des entreprises se fait sous la forme de capital fixe, c'est-à-dire sous une forme réelle, l'accumulation des ménages se fait sous la forme de titres, c'est-à-dire sous une forme purement financière. Soulignons ici que les ménages dont il est question ici sont des ménages purs et que les investissements en capital fixe qu'ils réalisent sont considérés comme les investissements d'entreprises individuelles. Les investissements en logement des ménages sont également assimilés à des investissements d'entreprises individuelles car les ménages consomment, non leurs logements, mais les services qu'ils rendent.
Les logiques d'accumulation des entreprises et des ménages sont très différentes, le problème est qu'au niveau global l'accumulation effective des entreprises et celle des ménages sont liées par une contrainte forte, l'égalité entre l'investissement net et l'épargne. Cette égalité signifie, en effet, que l'accumulation des entreprises et celle des ménages sont égales en valeur. Mais l'accumulation des entreprises est liée à leurs perspectives de croissance alors que l'accumulation des ménages est liée à leur revenu. Ainsi, lorsque le niveau de la production s'élève et se rapproche de son plafond potentiel, d'une part les perspectives de croissance des entreprises diminuent et donc leur désir d'accumuler, d'autre part le revenu des ménages augmente et donc également leur désir d'accumuler. Il arrive nécessairement un moment où apparaît une contradiction. Aucun équilibre stationnaire n'est cependant possible car un tel équilibre correspond à des perspectives de croissance nulles pour les entreprises, et donc à un désir d'accumuler nul, alors que le désir d'accumuler des ménages ne s'éteint qu'avec la pauvreté la plus extrême.
Le cœur du problème réside, en fait, dans la volonté des ménages d'accumuler de la richesse sous une forme financière et non sous la forme de biens produits. Si, par exemple, les ménages voulaient accumuler de la richesse en achetant des voitures, d'une part cette accumulation génèrerait une production, d'autre part ils s'apercevraient rapidement que leur accumulation n'est plus possible car tout leur revenu serait consacré au maintien en état de leur parc de voitures.
En décidant d'accumuler de la richesse sous forme de titres et de monnaie, les ménages laissent aux entreprises l'initiative de fixer le niveau de l'accumulation globale. Ils peuvent influencer l'investissement car ce sont eux qui le financent mais ils ne peuvent pas le déterminer. Plus précisément, en refusant leur financement les ménages peuvent bloquer l'investissement des entreprises mais ils n'ont aucun moyen d'obliger les entreprises à investir. Ils sont en cela dans la même situation qu'un banquier qui peut empêcher un client d'acquérir un logement en lui refusant un crédit mais qui ne peut en aucune façon obliger son client à acquérir un logement.
En accumulant de la richesse sous forme de titres qui sont supposés ne pas se déprécier au cours du temps, les ménages ont l'illusion que l'accumulation de richesse est potentiellement illimitée, la crise naît de la confrontation de cette illusion à la réalité d'une accumulation nécessairement limitée.
La microéconomie décrit une économie où les ménages cherchent à maximiser leur utilité, celle-ci étant liée à leur consommation. Elle ne fait donc aucune place aux titres financiers car ceux-ci n'ont pas d'utilité par eux-mêmes. La microéconomie ne peut comprendre l'achat d'un titre financier par un ménage que comme un moyen de différer dans le temps sa consommation. Ainsi, les analyses microéconomiques supposent souvent que les ménages épargnent pendant leur période d'activité et désépargnent pendant leur retraite. En faisant cette hypothèse, elles supposent que les ménages n'épargnent pas sur l'ensemble de leur vie et qu'ils meurent donc avec un capital égal à celui qu'ils possédaient à leur naissance. Implicitement, cette hypothèse revient à dire que l'épargne des ménages est nulle en régime stationnaire.
Les microéconomistes ont cherché à rendre leur hypothèse plus réaliste en tenant compte de l'héritage et d'une maximisation de la consommation sur plusieurs générations, mais cela n'enlève rien à la question fondamentale : pourquoi les ménages épargnent-ils ?
Si les ménages épargnent pour étaler dans le temps leur consommation, la microéconomie est pertinente, si les ménages épargnent pour d'autres motifs, ou plus précisément s'ils n'épargnent pas uniquement pour ce motif, la microéconomie n'est pas pertinente et il vaut mieux se tourner vers la macroéconomie. Il fut un temps où l'avarice et la thésaurisation étaient condamnées par la morale, c'est donc qu'il existait au moins une catégorie de personnes qui n'épargnaient pas uniquement pour différer leur consommation. Aujourd'hui encore, les milliardaires qui se sont constitués une immense fortune au cours de leur vie aspirent-ils toujours à mourir aussi pauvres qu'à leur naissance dès lors qu'ils n'ont pas d'héritiers ? La richesse ne procure-t-elle que l'avantage d'une forte consommation ? Certains ne cherchent-ils pas dans la richesse une source de pouvoir ou de reconnaissance sociale ?
La microéconomie et la macroéconomie sont toutes deux tout à fait logiques mais elles ne décrivent pas le même monde. Chacun peut se faire lui même son opinion et décider qui de la microéconomie ou de la macroéconomie décrit le mieux la réalité dans laquelle nous vivons.
Comme nous venons de le voir, la croissance joue un rôle fondamental dans la théorie keynésienne et, plus généralement, en macroéconomie : puisqu'un régime stationnaire est impossible, la croissance apparaît comme le seul moyen d'éviter les récessions et les crises économiques. Cela explique pourquoi les économistes les plus optimistes adoptent généralement des modèles macroéconomiques fondés sur l'hypothèse d'une croissance perpétuelle, mais cette hypothèse est-elle réellement crédible ? Y répondre suppose de revenir sur la notion aujourd'hui si controversée de croissance, en particulier sur ses aspects qualitatifs.
Toute économie repose sur la combinaison de deux facteurs : le travail et les ressources naturelles. Le capital fixe qui est généralement nécessaire à la production est lui-même produit à partir de ces deux facteurs et ne joue donc qu'un rôle d'intermédiaire dans le processus de production. Le travail et les ressources naturelles étant nécessairement limités, faire croître la production indéfiniment suppose d'être capable de faire croître également indéfiniment, d'une part la production par heure travaillée, c'est-à-dire la productivité du travail, d'autre part la production par unité de ressources naturelles disponibles.
S'il n'y avait qu'un seul produit dans l'économie, ces deux conditions apparaîtraient difficiles à réunir. Il serait alors irréaliste d'envisager que la croissance puisse se poursuivre indéfiniment et cela d'autant plus qu'elle finirait nécessairement par se heurter à l'inévitable saturation de la consommation. Quelles que soient les baisses de prix, on imagine mal un ménage acheter dix voitures par mois ou une tonne de viande par jour. Ce raisonnement est vrai pour tous les produits.
Mais il n'y a pas qu'un seul produit dans l'économie, tous les jours des produits apparaissent, d'autres disparaissent, si bien que la croissance de la production n'est pas seulement quantitative, mais aussi qualitative. C'est uniquement grâce à sa dimension qualitative qu'une croissance durable est envisageable.
Lorsqu'un nouveau produit apparaît, il peut créer une demande nouvelle, c'est-à-dire rendre possible la poursuite de la croissance en retardant la saturation de la consommation. Mais s'il ne fait que s'ajouter aux produits existants, le nouveau produit se trouvera très rapidement confronté à la rareté du travail et des ressources naturelles. Pour qu'un nouveau produit contribue durablement à la croissance, il faut donc qu'il se substitue à un autre produit, ce qui libère la main-d'œuvre et les ressources naturelles nécessaires à sa production. Cependant, il ne suffit pas que le nouveau produit en chasse un ancien pour générer de la croissance, il faut également qu'il se traduise par un investissement supplémentaire, ou plus précisément par un investissement net supplémentaire, car c'est le niveau de l'investissement net qui détermine à moyen terme le niveau d'activité.
Il existe ainsi certaines circonstances où l'apparition de nouveaux produits ne contribue pas à la croissance. C'est le cas lorsque le nouveau bien ou service peut être produit avec le même capital fixe. Par exemple, la production d'un nouveau modèle de vêtement ne nécessite généralement pas l'acquisition de nouvelles machines. Le nouveau produit se substitue alors à l'ancien parce qu'il correspond mieux aux attentes de la clientèle, mais il ne relève généralement pas sensiblement le niveau de l'activité globale.
Pour comprendre le rôle des nouveaux produits, nous pouvons considérer une économie où les entreprises se classeraient en trois groupes :
Pour qu'un nouveau produit puisse en chasser un ancien, il faut qu'à coût égal, il intéresse davantage les consommateurs, c'est-à-dire qu'il puisse être vendu à un prix supérieur. Il dégagera alors des bénéfices substantiels et justifiera des investissements importants. Ainsi, les entreprises engagées dans de nouvelles activités se caractérisent le plus souvent par des profits élevés et une formation brute de capital fixe importante. Comme leurs activités sont nouvelles, leur capital fixe installé, et donc leur consommation de capital fixe, sont encore relativement faibles. Ainsi, c'est non seulement l'investissement brut de ces entreprises, mais également leur investissement net qui est fort, si bien que leur impact sur l'économie est particulièrement positif.
Les entreprises engagées dans des activités stables réalisent elles aussi des profits, souvent moins importants, mais elles se caractérisent surtout par la stabilité de leur capital fixe, la formation brute de capital fixe étant seulement destinée à remplacer les actifs en fin de vie. Leur investissement net est donc nul et elles n'ont pas d'impact sur le niveau de l'activité globale.
Les entreprises engagées dans des activités en fin de vie sont contraintes de baisser leurs prix et réalisent souvent des pertes. Comme elles ne renouvellent pas leur capital fixe, leur investissement brut est nul. Puisque leur capital fixe installé reste généralement important, leur consommation de capital fixe le reste également, si bien que leur investissement net est négatif. Cela veut-il dire que leur impact sur l'activité soit négatif ?
En fait, la réponse est non et il s'agit là d'un point fondamental qui mérite d'être développé. Les entreprises engagées dans des activités en fin de vie sont souvent confrontées à une baisse importante de la demande, si bien que leur capital fixe devient excédentaire par rapport à leurs besoins. Dans ces conditions, si nous faisons l'hypothèse d'une concurrence parfaite, elles sont amenées, comme nous l'avons vu précédemment, à baisser leurs prix de telle manière que la valeur de leur production soit égale à la somme des consommations intermédiaires et des salaires. En effet, la consommation de capital fixe apparaît alors comme un coût fixe qui ne doit pas être pris en compte dans la détermination du prix de vente. Mais, pour calculer le bénéfice des entreprises, c'est l'ensemble de leurs coûts qu'il faut déduire de la valeur de leur production et non seulement leurs coûts variables. Il faut donc déduire de la production les consommations intermédiaires, les salaires, la consommation de capital fixe et les intérêts payés. Le bénéfice est alors négatif, c'est une perte égale à la somme de la consommation de capital fixe et des intérêts payés. Puisqu'elles réalisent des pertes, les entreprises engagées dans des activités en fin de vie ne vont pas distribuer de dividendes et les revenus qu'elles versent aux ménages sont égaux à la somme des salaires et des intérêts payés.
Pour montrer l'impact des différents groupes d'entreprises nous pouvons réaliser un tableau où Ent1 désigne le groupe d'entreprises engagées dans de nouvelles activités, Ent2 le groupe d'entreprises engagées dans des activités stables, Ent3 le groupe d'entreprises engagées dans des activités en fin de vie. Dans ce tableau P désigne la production, RM le revenu distribué aux ménages, S les salaires, CCF la consommation de capital fixe et B les bénéfices. Nous avons négligé les consommations intermédiaires et les intérêts payés pour simplifier l'exposé.
P | RM | P-RM | |
Ent1 Ent2 Ent3 |
S1+CCF1+B1
S2+CCF2+B2 S3 |
S1+B1
S2+B2 S3 |
CCF1 CCF2 0 |
On déduit de ce tableau que pour l'ensemble de l'économie, on a :
(1) P = RM + CCF1 + CCF2
Par ailleurs :
(2) P = C + I = C + I1 + I2 + I3
où C désigne la consommation des ménages et I l'investissement brut.
Si on fait l'hypothèse d'une fonction de consommation simplifiée, on a également :
(3) C = a.RM
en combinant les équations (1), (2) et (3) on obtient :
(4) RM + CCF1 + CCF2 = a.RM + I1 + I2 + I3
Or, CCF2 = I2 car les entreprises du groupe 2 ont un capital fixe constant, et I3=0 car les entreprises du groupe 3 n'investissent plus.
On en déduit :
(5) RM = (I1 - CCF1 ) / (1-a)
Cette formule montre que l'effet multiplicateur subsiste et qu'il ne dépend que de l'investissement net des entreprises engagées dans les nouvelles activités.
Ce résultat est remarquable car on aurait pu s'attendre à ce que l'investissement net négatif des entreprises du groupe 3 annule l'investissement net positif du groupe 1. En fait, il n'en est rien car les bénéfices et les pertes ne jouent pas des rôles symétriques. En effet, si les bénéfices des entreprises génèrent des revenus positifs pour les ménages sous forme de dividendes, les pertes des entreprises ne donnent pas lieu à des distributions de revenu négatives. Ainsi, les entreprises engagées dans des activités en fin de vie jouent un rôle fondamental dans la croissance, d'une part parce qu'elles libèrent de la main-d'œuvre et des ressources naturelles pour les nouvelles activités, d'autre part parce qu'elles distribuent aux ménages des revenus supérieurs à leur valeur ajoutée nette.
Il faut cependant préciser ce résultat, le raisonnement que nous venons de présenter s'applique à des entreprises et non à des produits. Si de nouveaux produits et des produits en fin de vie coexistent dans la même entreprise, les pertes réalisées sur les produits en fin de vie vont se déduire des profits réalisés sur les nouveaux produits et donc du revenu des ménages, atténuant ainsi les effets positifs des nouveaux investissements.
Les difficultés des entreprises engagées majoritairement dans des activités en fin de vie ont une autre conséquence : la valeur de leurs actions sur le marché va chuter. Or, nous avons vu que la valeur globale des titres était liée à la masse monétaire. Puisque la chute de la valeur des actions de certaines entreprises n'a pas d'impact direct sur la masse monétaire, on peut en déduire qu'elle n'a pas non plus d'impact sur la valeur globale des titres. En d'autres termes, la chute de la valeur de ces actions sera compensée par la hausse de la valeur des autres titres, ce qui est équivalent à une baisse du taux d'intérêt et est donc favorable au financement de l'investissement dans les nouvelles activités.
Cependant, si les entreprises en difficulté remboursent progressivement leurs dettes auprès du système bancaire, on assistera à une décroissance de la masse monétaire qui pèsera sur la valeur globale des actifs financiers. À l'inverse, si les entreprises en difficulté font faillite, il est possible qu'elles ne soient pas en mesure de rembourser leurs dettes, ce qui a pour conséquence de maintenir la masse monétaire à son niveau et donc le niveau global des actifs financiers ; l'effet positif sur le financement de l'investissement dans les nouvelles activités est alors maximal.
Ainsi, les nouveaux produits rendent possible une poursuite de la croissance s'ils chassent d'autres produits du marché. Cependant trois remarques s'imposent.
La première porte sur le lien entre croissance et progrès. Il est habituel de présenter la croissance comme l'une des causes principales de l'amélioration des conditions de vie des ménages. C'est souvent vrai, mais il faut cependant préciser la situation de référence par rapport à laquelle est défini le progrès.
Par exemple, considérons deux produits, les calèches et les voitures automobiles. Au début, seules sont produites des calèches, puis apparaissent les automobiles. Les automobiles, beaucoup plus performantes, vont se substituer aux calèches, si bien que les entreprises qui produisaient des calèches vont faire faillite. Cela génère une première phase de croissance qui est généralement considérée comme un progrès pour les ménages. Mais, supposons maintenant que le pétrole s'épuise, l'industrie automobile va disparaître et les calèches vont se substituer aux automobiles, ce qui génère une nouvelle phase de croissance. C'est maintenant la calèche qui apparaît comme un progrès par rapport à l'automobile puisqu'elle peut fonctionner sans pétrole. Pourtant, cela ne signifie pas que les ménages préfèrent la nouvelle situation à l'ancienne, simplement ils doivent s'adapter au mieux à l'évolution de leur environnement et la calèche leur apparaît le produit le mieux adapté pour cela.
La deuxième remarque porte sur le caractère durable de la croissance. Rien ne peut garantir que de nouveaux produits généreront des investissements suffisants pour garantir le plein emploi. Cela a été le cas lors de périodes relativement longues après de grandes inventions comme la machine à vapeur ou le moteur à explosion qui ont toutes deux permis d'utiliser intensivement les ressources naturelles. Mais, d'une part le progrès est rarement linéaire, et des périodes de surinvestissement peuvent être suivies de périodes de dépression, d'autre part les nouveaux produits peuvent générer un investissement insuffisant pour maintenir le plein emploi.
Ainsi, dans notre exemple, ce n'est pas la faillite des entreprises produisant des calèches qui explique l'impact de l'automobile sur la croissance, mais l'engouement suscité par ce nouveau produit qui a révolutionné la vie de bien des ménages, mobilisant les énergies et les imaginations, justifiant les plus grands sacrifices en termes de travail et de risque, tirant l'investissement et toute l'économie pendant des décennies. À l'inverse, les calèches doivent être tirées par des chevaux qui nécessitent des ressources importantes en terres pour les nourrir, la croissance de leur production se heurtera donc rapidement à la rareté des ressources naturelles et elle ne pourra jamais avoir un effet sur l'investissement comparable à celui qu'a eu l'automobile.
La troisième remarque porte sur l'impact positif des faillites. Lorsque celles-ci sont trop nombreuses elles peuvent se traduire par une baisse du revenu global des ménages telle que la conjoncture économique apparaisse si dégradée que les investisseurs soient amenés à différer leurs projets, même ceux portant sur de nouveaux produits pourtant potentiellement prometteurs. Les faillites n'auront alors aucun impact positif sur la croissance, au contraire elles génèreront une récession.
Ainsi, si la dimension qualitative de la croissance apparaît comme l'une de ses composantes essentielles, rien ne permet réellement de penser qu'elle puisse lui conférer en toutes circonstances un caractère durable. Retenir l'hypothèse d'une croissance perpétuelle peut alors apparaître comme l'expression d'un optimisme peu raisonnable, ou même comme un moyen de supposer dès le départ le problème résolu.
Auteur : Francis Malherbe