L'un des principaux inconvénients des comptes annuels est de ne pas permettre le suivi de la conjoncture. En effet, ils ne donnent aucune indication sur l'évolution de l'économie au cours de l'année. Or, pour pouvoir réagir à des évènements imprévus, ou même plus simplement pour adapter sa gestion courante à l'évolution de la situation, l'Etat a besoin d'informations disponibles plus rapidement que les comptes annuels.
Les entreprises, elles-mêmes, sont très attentives à l'évolution de l'économie, guettant les retournements conjoncturels, c'est-à-dire les passages d'une phase de croissance à une phase de récession, ou inversement. Elles veulent, en effet, pouvoir adapter aussi vite que possible leurs programmes de production ou d'investissement aux changements des conditions économiques.
Bien entendu, de nombreux indicateurs peuvent être utilisés indépendamment de la comptabilité nationale par les conjoncturistes, par exemple les indices de prix, la consommation d'énergie, les taux de change des monnaies, etc. Cependant, ces indicateurs ne sont pas toujours cohérents et il devient alors difficile d'évaluer la situation réelle.
Aussi, les comptes trimestriels présentent pour le conjoncturiste le grand avantage de constituer un ensemble cohérent qui est une synthèse de l'information disponible. De plus, ils sont adaptés aux analyses macroéconomiques et peuvent servir de base à des modèles de prévision à court terme.
Les comptes trimestriels sont très proches des comptes annuels par leur structure, ils reprennent les mêmes concepts et la même logique, leurs nomenclatures étant seulement moins détaillées. Cependant, la nécessité de paraître rapidement leur impose d'utiliser d'autres sources d'information et d'autres méthodes d'élaboration que les comptes annuels.
Les comptes trimestriels ne sont pas élaborés à partir d'informations exhaustives mais à partir d'indicateurs qui ont pour principale qualité d'être disponibles rapidement et d'avoir une évolution parallèle à celle des grandeurs qu'ils permettent d'estimer. Par exemple, la production de l'industrie n'est pas évaluée au moyen d'une enquête auprès de l'ensemble des entreprises industrielles mais à l'aide d'un indice de la production industrielle qui est, quant-à lui, calculé à partir d'un échantillon représentatif d'entreprises. Cet indice évolue, en effet, sensiblement de la même manière que la production de l'ensemble de l'industrie et est disponible suffisamment rapidement pour pouvoir être utilisé par les comptes trimestriels.
Les comptes trimestriels posent, par rapport aux comptes annuels, des problèmes spécifiques. L'existence de mouvements saisonniers rend, en effet, difficile la perception des évolutions conjoncturelles à partir des seules données brutes, c'est-à-dire des données directement tirées des enquêtes.
Supposons, par exemple, que nous cherchions à suivre l'évolution de la production de crème glacée. Une étude menée à partir des seuls chiffres bruts fera immanquablement apparaître chaque année une croissance aux deuxième et troisième trimestres puisqu'ils correspondent à la saison chaude. On ne pourra alors en déduire aucune information sur les tendances de fond, celles-ci ne pouvant apparaître que par la comparaison de plusieurs années successives.
Les statisticiens élaborent donc à l'aide de techniques sophistiquées des séries de données qui éliminent l'effet saisonnier et mettent en évidence la véritable tendance conjoncturelle. Ces séries sont dites "corrigées des variations saisonnières" ou bien encore "désaisonnalisées".
Grâce aux techniques de désaisonnalisation, les comptes trimestriels constituent un instrument irremplaçable d'analyse conjoncturelle et l'un des principaux prolongements des comptes annuels.
La comptabilité nationale a été conçue pour répondre à l'étude des problèmes macro-économiques et elle se caractérise donc par une forte cohérence interne et une approche globale. Ces qualités peuvent s'avérer des défauts lorsqu'il s'agit d'étudier des aspects plus spécifiques de la vie économique ou sociale. Par exemple, il est difficile à partir du cadre central des comptes nationaux de mesurer l'effort qu'un pays consacre globalement à l'enseignement ou à la santé. En effet, tous les secteurs institutionnels participent, d'une manière ou l'autre, à cet effort. Ainsi, certaines écoles appartiennent à des sociétés publiques, d'autres aux administrations publiques ou bien encore aux institutions sans but lucratif, ou même aux ménages.
La contribution des différents agents à un domaine spécifique en tant que financeurs ou producteurs n'est pas toujours enregistrée en tant que telle dans les comptes. Par exemple, les dépenses que les entreprises consacrent à la formation peuvent apparaître dans le cadre central, soit en consommation intermédiaire, si la formation est directement liée au processus de production et profite donc essentiellement à l'entreprise, soit en rémunération des salariés si la formation n'est pas directement liées au processus de production et profite donc essentiellement aux salariés. Or, il est impossible de trouver explicitement dans le cadre central ce deuxième type de dépenses, même si l'information de base existe.
De plus, certains aspects importants de la vie économique ne peuvent pas être décrits par les nomenclatures utilisées par le cadre central. Par exemple, le tourisme n'apparaît pas en tant que tel dans le cadre central, même s'il contribue à l'activité des hôtels, des restaurants, du transport et du commerce en général.
C'est pour combler ces différentes lacunes qu'ont été créés les comptes satellites. Leur objectif est de décrire un domaine correspondant à une préoccupation de la collectivité tout en respectant une double contrainte :
Comme les domaines étudiés par les comptes satellites sont très variés, leur cadre doit être défini avec une certaine souplesse, il est cependant possible de dégager un certain nombre de principes communs.
Le champ du compte satellite doit d'abord être délimité par la définition d'un certain nombre d'activités caractéristiques. Par exemple, pour les comptes de l'éducation, les activités caractéristiques sont les activités d'enseignement, que cet enseignement soit de type scolaire ou extrascolaire. L'étude d'un domaine ne peut cependant pas se réduire à ces seules activités caractéristiques. Il faut également tenir compte, comme pour toutes les activités, des activités annexes comme l'administration générale ou les cantines.
Mais il est souvent nécessaire d'aller au-delà. Ainsi, dans le domaine de l'éducation, il faut aussi suivre des activités qui, comme l'édition de livres scolaires ou le transport scolaire, ne sont pas classées directement dans l'éducation mais lui sont étroitement associées et correspondent, pour ceux qui les financent, à des dépenses assimilées à des dépenses d'enseignement. Ces activités sont qualifiées de "Biens et services connexes".
Le concept de base des comptes satellites est non la production comme dans le cadre central, mais la dépense. Cette dépense peut correspondre à des achats de biens ou services ou à des transferts. Elle est étudiée dans les comptes satellites selon trois optiques différentes :
La prise en compte du critère de résidence amène à distinguer la dépense intérieure de la dépense nationale :
Les dépenses seront également ventilées par fonction. Ainsi, dans le compte de l'éducation, l'enseignement scolaire peut être distingué de l'enseignement extrascolaire et, au sein de l'enseignement scolaire, on peut faire apparaître séparément le premier degré, le second degré, l'apprentissage, l'enseignement supérieur, l'enseignement artistique et un poste divers non ventilé.
Les unités institutionnelles qui financent les dépenses sont regroupées selon une nomenclature dérivée de celle du cadre central. Elle distingue, par exemple :
Il convient également de distinguer le financeur initial du financeur final. Les différents organismes des administrations publiques se font fréquemment des transferts et, selon le cas, il sera intéressant de se placer du point de vue de celui qui est à l'origine du financement, ou du point de vue de celui qui va réellement effectuer la dépense. Par exemple, l'Etat peut effectuer un transfert à une collectivité locale pour financer un établissement scolaire. L'Etat est alors le financeur initial, c'est-à-dire celui qui a réellement supporté la dépense, et la collectivité locale est le financeur final, c'est-à-dire celui qui va effectuer réellement la dépense.
La production est étudiée pour les seules activités caractéristiques du domaine et non pour les biens et services connexes. Les producteurs sont regroupés selon une nomenclature propre au domaine étudié. Par exemple, le compte de l'éducation distinguera au niveau le plus agrégé pour l'enseignement : les établissements publics, les établissements privés et les établissements consulaires.
Pour chaque catégorie de producteurs les dépenses de fonctionnement et les dépenses en capital seront présentées. Les dépenses de fonctionnement seront ventilées en dépenses de personnel et autres dépenses de fonctionnement.
Les dépenses doivent également être considérées du point de vue de leurs bénéficiaires. La première distinction concerne les dépenses effectuées au profit de bénéficiaires individualisables et celles qui sont effectuées au profit de l'ensemble de la collectivité. Les comptes satellites reprennent donc la distinction établie au niveau du cadre central. Ainsi, dans le compte de l'éducation, ce sont les élèves et les étudiants qui sont considérés comme les bénéficiaires des dépenses. Toutefois, l'administration du système éducatif, la recherche en éducation et la formation du personnel travaillant dans les établissements d'enseignement sont considérés comme bénéficiant à l'ensemble de la collectivité et donc non individualisables.
Les comptes satellites reprennent également la distinction établie par le cadre central au niveau des dépenses des bénéficiaires : les dépenses effectuées directement par les bénéficiaires et celles financées par transferts. En effet, les bénéficiaires peuvent acheter les biens et services caractéristiques et connexes mais ils peuvent également bénéficier de transferts sous diverses formes : transferts directs aux utilisateurs, transferts aux producteurs afin de leur permettre de baisser leurs prix ou financement non marchand par les administrations. Tous ces transferts constituent la dépense sociale. Elle correspond à la partie des dépenses qui n'est pas financée par les bénéficiaires.
Les comptes des producteurs peuvent être présentés sous la même forme que les comptes du cadre central, mais, le plus souvent, ils seront présentés sous une forme simplifiée regroupant certains sous-comptes ou certaines opérations.
Les dépenses de financement peuvent être présentées dans des tableaux croisant les unités assurant le financement et les différents postes de la dépense nationale. Des tableaux séparés peuvent être publiés pour les dépenses courantes, les dépenses en capital et les dépenses totales.
L'analyse des bénéficiaires sera faite à l'aide de tableaux croisant une nomenclature des bénéficiaires et une nomenclature des postes des emplois de la dépense nationale.
Dans la plupart des pays, il existe une forte demande de statistiques régionales. Tout naturellement, l'idée s'est faite jour d'élaborer des comptes régionaux qui soient, comme les comptes nationaux, des systèmes cohérents et complets. Malheureusement, beaucoup d'obstacles, tant conceptuels que pratiques, s'opposent à la réalisation d'un tel objectif.
Au niveau des comptes de secteurs, tout d'abord, il n'est pas facile, ni même logique, de ventiler par région les opérations financières des entreprises qui ont des établissements dans l'ensemble du pays. Celles-ci concernent en effet l'entreprise en tant qu'entité juridique indissociable. Au niveau des équilibres ressources-emplois, ensuite, l'évaluation des importations et des exportations des régions ne pourrait être réalisée qu'au prix d'enquêtes très lourdes.
Aussi, les comptes régionaux apparaissent avant tout comme une ventilation régionale de certains éléments de la comptabilité nationale et non comme un système intégré et complet. Le plus souvent, les comptes régionaux se résument à une simple décomposition régionale de la valeur ajoutée des différentes branches.
Outre les comptes satellites, la comptabilité nationale permet de nombreuses analyses complémentaires qui se rattachent au cadre central. Ces analyses permettent d'aborder certains aspects de la vie économique qui sont mal appréhendés par le cadre central. Par exemple, la nomenclature de produits utilisée dans le tableau entrées-sorties est peu adaptée à l'étude des comportements de consommation des ménages car elle est basée davantage sur la nature des produits que sur leur utilisation.
Ces limitations de la comptabilité nationale sont inhérentes à sa nature même, elles sont en quelque sorte la contrepartie inévitable de ses points forts : fondements théoriques basés sur la macroéconomie, exhaustivité et cohérence. Dès que l'on veut sortir de ce cadre contraignant, il est utile, et parfois même nécessaire, de détailler davantage les opérations ou les agents, de procéder à des regroupements différents et de faire apparaître de nouveaux soldes significatifs.
Toutefois, ces analyses, aussi utiles soient-elles ne peuvent être intégrées complètement au cadre central des comptes, soit parce qu'elles n'en n'épousent pas la logique, soit parce qu'elles nécessiteraient un travail trop lourd. En effet, les comptes nationaux sont le résultat, non d'une simple compilation de statistiques, mais d'un équilibrage qui impose un important travail de synthèse et d'arbitrage.
Il serait trop lourd d'étendre ces opérations d'équilibrage général au delà du cadre central, si bien que les analyses complémentaires se contentent d'être cohérentes globalement avec les données du cadre central. Aussi les analyses complémentaires enrichissent le système mais n'en font pas tout à fait partie et ne lui sont pas indispensables.
Les analyses complémentaires sont trop nombreuses et variées pour être présentées ici d'une manière exhaustive, de plus elles sont susceptibles de se modifier en fonction des centres d'intérêt du moment. Nous nous contenterons donc de présenter, à titre d'exemple, les analyses de la consommation des ménages.
L'analyse de la consommation finale des ménages est un exemple des nombreuses analyses fonctionnelles qu'il est possible de réaliser. Elle est particulièrement utile pour étudier le comportement de consommation des ménages. Dans le tableau entrées-sorties, la consommation des ménages est détaillée selon la nature des produits, en correspondance avec la nomenclature de branches.
Cette décomposition est bien adaptée à l'étude du système de production mais elle l'est beaucoup moins pour mettre en évidence les comportements de consommation des ménages. En effet, ceux-ci se soucient généralement plus de l'utilisation qu'ils font des produits que de leur branche d'origine. Par exemple, un bien en matière plastique et un bien en métal qui sont produits par deux branches différentes, peuvent être considérés comme analogues par les ménages s'ils correspondent à une même utilisation et qu'ils sont, pour cette utilisation, de qualité comparable.
Dans ces conditions, la consommation des ménages sera également ventilée dans le cadre de deux nomenclatures supplémentaires :
La nomenclature des biens durables se présente sous la forme suivante :
Les biens durables ont une durée de vie dépassant normalement largement une année et une valeur relativement élevée, les biens semi-durables ont une durée de vie proche de l'année ou une valeur relativement peu importante, les biens non durables ont une durée de vie inférieure à un an.
L'étude fonctionnelle de la consommation des ménages se fait à l'aide d'une nomenclature qui se présente ainsi :
Il existe une demande forte pour le développement de comptes satellites et d'analyses complémentaires dans de nombreux domaines. Cependant, il est peu probable que toutes ces demandes puissent être satisfaites, même s'il est clair que les comptes satellites apportent un complément particulièrement utile aux comptes nationaux en leur permettant d'aller plus loin dans l'analyse d'un domaine particulier.
En effet, d'une certaine manière, avec le cadre central les comptables nationaux ont réalisé ce qui était à la fois le plus utile et le moins coûteux, si bien que chaque extension du système risque de s'avérer relativement moins utile et plus coûteuse. La pertinence de l'introduction d'un nouveau compte satellite ou d'une analyse complémentaire doit donc être examinée attentivement dans le cadre d'une analyse coût/avantages.
Auteur : Francis Malherbe