Les relations entre la théorie économique et la comptabilité nationale sont complexes. En principe, la comptabilité nationale est indépendante de la théorie économique et il est vital de préserver au mieux cette indépendance si l'on veut que la comptabilité nationale puisse continuer à jouer son rôle de mesure permettant de valider ou d'infirmer les théories économiques. Cependant, la comptabilité nationale adopte certains points de vue qui ne sont pas compatibles avec toutes les théories économiques.
La comptabilité nationale est avant tout un outil d'analyse macroéconomique et elle ne peut donc que peu contribuer au développement des théories microéconomiques. La comptabilité nationale doit d'ailleurs clairement une grande part de son développement au succès de la théorie keynésienne après la seconde guerre mondiale. Cela ne signifie pas que la comptabilité nationale soit déduite de la théorie keynésienne, ni même qu'elle ne puisse être utilisée qu'en relation avec cette théorie, mais il faut reconnaître que le cadre d'analyse de la comptabilité nationale est, sinon le même, tout au moins très proche de celui de la théorie keynésienne.
Mais, même si la comptabilité nationale est indépendante de toute théorie économique, il n'en reste pas moins vrai qu'elle n'aurait pas beaucoup d'intérêt si ses résultats ne pouvaient être analysés au travers d'une grille tirée de la théorie économique.
Ainsi, même si la comptabilité nationale est avant tout un instrument d'analyse macroéconomique, beaucoup de ses concepts ne prennent tout leur sens que si on les replace dans le cadre de la théorie générale de l'équilibre d'une économie de concurrence parfaite. C'est particulièrement vrai pour les problèmes de valorisation où le lien entre prix et utilité apparaît toujours de manière implicite.
Mais la question des rapports entre la théorie économique et la comptabilité nationale ne porte pas uniquement sur des sujets théoriques, elle prend une place considérable dans la pratique de l'élaboration des comptes nationaux. En effet, la comptabilité nationale repose fondamentalement sur des données provenant d'enquêtes statistiques et de sources administratives. Mais deux problèmes se posent en pratique aux comptables nationaux.
Le premier est que les sources ne couvrent pas de manière exhaustive l'activité économique. Il serait, en théorie, possible de réaliser les enquêtes nécessaires pour couvrir les besoins des comptables nationaux mais les enquêtes ont un coût, à la fois en termes financiers et en charge de travail pour les enquêtés. La société n'est pas prête à accepter ces coûts et elle n'est pas prête à se dévoiler dans tous ses détails. Aussi le comptable national ne peut qu'accepter cette réalité et y faire face de son mieux.
Le deuxième problème pratique porte sur l'incohérence des données de base. Il est, en effet, par exemple possible de collecter des données sur tous les postes du compte de biens et services mais il est certain que ces données ne vérifieront pas spontanément l'équilibre global si elles proviennent de sources indépendantes. En effet, les enquêtes et les sources administratives ne sont pas parfaites, elles contiennent des erreurs et, le plus souvent, elles ne correspondent pas exactement aux concepts de la comptabilité nationale.
Ainsi, en pratique, le comptable national est toujours confronté à des données à la fois incomplètes et incohérentes. Son travail est précisément de parvenir à un résultat exhaustif et parfaitement équilibré à partir de cette matière première de qualité bien imparfaite.
Il va donc être amené à faire des hypothèses et à réaliser des arbitrages. Il ne peut compter pour cela que sur sa propre compréhension de l'économie nationale et sur celles d'experts qu'il a la possibilité de consulter. Mais, face à l'incertitude, il sera bien difficile au comptable national de faire totalement abstraction des théories économiques qu'il connaît, si bien que ses évaluations finales ne peuvent être totalement exemptes de toute influence de la théorie économique.
Bien entendu, tout sera entrepris pour que cette part soit la plus faible possible mais la comptabilité nationale reste une œuvre humaine et, comme toute œuvre humaine, elle ne peut être totalement indépendante des hommes qui la réalisent, de leurs connaissances théoriques ou pratiques, ni même de leur jugement.
Auteur : Francis Malherbe