En toute rigueur, la théorie keynésienne n'est valide que dans le cadre d'une économie fermée, c'est-à-dire sans relations avec l'extérieur. Elle est donc valide pour l'économie mondiale considérée comme un tout mais non pour chaque pays pris isolément.
Dans une économie ouverte, les ménages peuvent acheter des produits et des actifs financiers non plus seulement dans le pays, mais également à l'étranger. Inversement, les agents économiques étrangers peuvent acheter dans le pays des produits et des actifs financiers.
Dans un pays donné, la demande intérieure est la somme la consommation et de l'investissement. À cette demande intérieure s'ajoute une demande extérieure égale aux exportations. Comme la demande totale est satisfaite à la fois par la valeur ajoutée et les importations on a l'équation :
Valeur ajoutée = consommation + investissement + exportations − importations
La différence entre les exportations et les importations est le solde de la balance des biens et services.
Dans une économie ouverte sur l'extérieur, le revenu n'est plus égal à la valeur ajoutée car des revenus peuvent provenir du reste du monde ou lui être versés. Dans ces conditions, le revenu national est égal à la valeur ajoutée plus les revenus nets provenant du reste du monde, les revenus nets étant égaux aux revenus reçus moins les revenus versés. L'équation précédente devient donc :
Revenu = consommation + investissement + (exportations − importations + revenus nets provenant du RDM)
Soit :
Épargne = investissement + (exportations − importations + revenus nets provenant du RDM)
La partie entre parenthèses correspond à l'excédent courant de la balance des paiements. La relation entre l'épargne et l'investissement devient donc :
Épargne = investissement + excédent courant de la balance des paiements
Si l'on introduit une distinction entre public et privé, l'équation précédente devient :
Épargne privée + épargne publique = investissement privé + investissement public + excédent courant BDP
C'est-à-dire :
Épargne privée = investissement privé + (investissement public − épargne publique) + excédent courant BDP
Si l'on fait l'hypothèse d'une absence de transferts en capital — c'est-à-dire des transferts à caractère exceptionnel — la partie entre parenthèses correspond au déficit public. On a donc :
Épargne privée = investissement privé + déficit public + excédent courant BDP
Ou encore :
Excédent courant BDP = Épargne privée − investissement privé − déficit public
Il nous faut maintenant étudier différentes situations possibles.
Plus précisément, dans une économie mondialisée de concurrence parfaite où les produits et les capitaux circulent librement, la production et donc la valeur ajoutée ne sont pas déterminées par le marché intérieur mais par une part du marché mondial. En effet, dans ce cas extrême, les entreprises nationales vendent indifféremment à leurs clients nationaux et étrangers et, réciproquement, les clients nationaux ne font pas de distinction entre les fournisseurs nationaux et étrangers.
Une politique de relance keynésienne par un déficit public n'a donc aucun effet sur la production et, par suite, sur le revenu distribué par les entreprises aux ménages, elle ne se traduit par un accroissement du revenu des ménages que si une part du déficit public correspond à des transferts nets de revenus de l'État aux ménages. Dans ce cas, il y aura bien un accroissement de la demande des ménages mais, si le pays est petit, cela n'a qu'un impact insignifiant sur l'activité mondiale et, par conséquent, sur la production nationale puisque celle-ci est déterminée par une part du marché mondial.
Dans le cas extrême où le déficit public provient exclusivement d'un accroissement des dépenses de l'État en biens et services, il ne profite qu'au reste du monde et n'a aucun impact positif sur les ménages.
Dans une économie mondialisée, l'activité économique d'un petit pays est déterminée uniquement par sa compétitivité sur le marché mondial, son seul moyen pour accroître sa production est alors de gagner des parts du marché mondial.
Dans un pays perdant des parts du marché mondial, la baisse d'activité se traduit par une baisse du revenu des ménages et donc de l'épargne nationale. Or, l'équation liant l'épargne et l'investissement peut aussi s'écrire :
Excédent courant de la balance des paiements = épargne − investissement
Ainsi, si le pays maintient son investissement au même niveau, sa balance des paiements courante se dégrade.
En théorie, un pays dont le secteur privé est peu compétitif peut rétablir le plein-emploi sans creuser son déficit public. Il suffit pour cela qu'il finance par l'impôt suffisamment d'emplois dans les administrations publiques. La création d'emplois publics financés par l'impôt ne modifie pas le revenu global des ménages car l'augmentation de revenu due aux salaires est compensée par une diminution due à l'impôt, elle ne fait donc que répartir la consommation de produits du secteur concurrentiel sur un plus grand nombre de personnes et fournir davantage de services publics.
La principale limite à cette politique est son acceptation par les citoyens. Ceux-ci seront d'autant moins enclins à accepter des taux d'imposition élevés que leurs services publics sont peu efficaces. De plus, les contribuables les plus riches seront tentés par l'expatriation.
La concurrence parfaite n'existe pas si bien que, même dans une économie ouverte, une baisse du revenu des ménages peut affecter l'activité intérieure.
De plus, certaines activités comme l'immobilier et les services aux ménages ne sont pas soumises à la concurrence extérieure. Ces activités sont dénommées présentielles, car elles sont liées à la présence de population. On distingue alors deux secteurs privés, le secteur concurrentiel et le secteur présentiel
Dans une économie ouverte, la répartition de l'activité entre le secteur concurrentiel et le secteur présentiel joue un rôle important. En effet, lorsqu'un pays connaît le chômage du fait d'une production insuffisante, une politique de relance par les déficits publics peut avoir un effet positif sur l’activité du secteur présentiel.
Nous avons vu, en effet, que le revenu des ménages et donc leur consommation peuvent être stimulés par un versement de revenus nets de l'État aux ménages. La croissance du revenu des ménages n’a qu'un impact réduit sur la production du secteur concurrentiel puisque celle-ci est déterminée principalement par le marché mondial. En revanche, elle peut avoir un impact significatif sur la production du secteur présentiel. Il suffit pour cela que la croissance du revenu des ménages se traduise par une croissance de la demande en produits du secteur présentiel. Puisque, par définition, il n’y a pas d’importations de produits du secteur présentiel, l’accroissement de la demande ne peut être satisfait que par un accroissement de la production.
Notons cependant que l'accroissement du revenu des ménages se traduit aussi par une demande plus forte en produits du secteur concurrentiel et que celle-ci ne peut être satisfaite que par des importations, ce qui dégrade le solde de la balance courante des paiements et peut même le rendre négatif.
Un point important à noter est que, pour l'ensemble des pays du monde, la somme des soldes de la balance courante des paiements est nécessairement nul. En effet, les exportations d'un pays sont les importations d'un autre et les transferts de revenus se compensent. On en déduit donc que l'on peut classer les pays en deux groupes :
Pour comprendre l'importance de cette distinction, il faut faire le lien entre le solde courant de la balance des paiements et les flux financiers avec le reste du monde.
En effet, le solde de la balance courante des paiements et celui du compte financier de la balance des paiements sont nécessairement égaux en l’absence de transferts en capital.
Rappelons que les transferts en capital sont des transferts à caractère exceptionnel et non des mouvements de capitaux. Si on les néglige, un excédent de la balance courante des paiements correspond à une acquisition nette de créances du pays sur le reste du monde, un déficit de la balance courante correspond nécessairement à des acquisitions nettes de créances du reste du monde sur le pays.
Dans le compte du reste du monde présenté ci-après les augmentations doivent être comprises nettes des diminutions et les créances doivent être comprises nettes des dettes.
En d’autres termes, un pays dégageant un excédent courant de sa balance des paiements est un pays qui vend des produits au reste du monde et qui, en contrepartie, lui achète des actifs financiers.
Un pays subissant un déficit courant est un pays qui achète des produits au reste du monde et qui lui vend des actifs financiers.
On en déduit qu'il existe un lien entre le solde courant de la balance des paiements d'un pays et son patrimoine.
En effet, un pays qui acquiert des créances nettes des dettes est un pays qui accroît son patrimoine financier. Comme les acquisitions nettes de créances sont égales à l'excédent courant de la balance des paiements, on en déduit qu'un pays dont la balance courante des paiements est excédentaire est un pays qui accroît son patrimoine financier.
Par ailleurs, un pays qui investit est un pays qui augmente son patrimoine réel, du moins si l'on considère son investissement net, c'est-à-dire net de la dégradation du capital. On a donc :
Accroissement du patrimoine national = investissement net + excédent courant de la balance des paiements
Nous avions d'ailleurs déjà vu que la somme de l'investissement net et de l'excédent courant de la balance des paiements était égale à l'épargne nette, autre expression de l'enrichissement net.
Pour aller plus loin, on peut diviser schématiquement les pays déficitaires en deux groupes :
Bien entendu, dans la réalité, les deux causes peuvent se combiner.
Un pays qui veut investir massivement pour développer ses capacités de production ou sa compétitivité peut avoir une épargne insuffisante pour cela et peut donc décider de faire appel à des financements extérieurs, on peut dire que c'est une cause vertueuse d'un déficit de la balance courante des paiements.
En revanche, dans certains pays, le déficit de la balance courante des paiements ne provient pas d'investissements massifs mais d'un excès de consommation. C'est le cas lorsqu'un pays cherche à maintenir un niveau élevé de revenu à sa population par une politique de déficit budgétaire pour compenser la faiblesse de son secteur concurrentiel. Le pays finance alors une partie de sa consommation en vendant son patrimoine, au comptant lorsqu'il vend des actifs financiers, à crédit lorsqu'il s'endette. Si ce phénomène se maintient durablement, il devient inquiétant puisque le pays s'appauvrit continûment, si bien que l'on pourrait dire qu'il est en voie de prolétarisation.
À l'inverse, pour compenser, d'autres pays connaissent durablement des excédents courants de la balance des paiements, ce sont des pays qui s'enrichissent continûment en prenant progressivement possession du patrimoine des autres pays.
Cette situation est très loin de la vision optimiste de la théorie des échanges comparatifs développée par Ricardo mais elle a une cause très claire, la libéralisation des mouvements de capitaux.
La libre circulation des biens et services n'implique pas nécessairement l'apparition d'excédents ou de déficits courants des balances des paiements des différents pays.
En effet, si l’on suppose l’absence de transferts en capital, c'est-à-dire des transferts à caractère exceptionnel, le solde de la balance courante des paiements est égal à la capacité de financement de la nation. Cette relation n'est rien d'autre que l'expression dans le compte du reste du monde de la relation entre le solde des opérations non financières et celui des opérations financières.
Nous distinguerons ici les devises des autres titres financiers.
Sorties de devises | Entrées de devises | |
Importations = Achats de biens et services | Exportations = Ventes de biens et services | |
Revenus nets provenant du reste du monde | ||
Ventes de titres financiers | ||
Achat de titres financiers | ||
Solde = sorties de devises | ||
En régime de change flottant, le marché détermine le taux de change de la monnaie nationale de telle manière qu'il équilibre les entrées et les sorties de devises. Lorsque l’État parvient à équilibrer également les mouvements de capitaux, l'équilibre du marché des devises assure en même temps l'équilibre de la balance courante des paiements :
Sorties de devises | Entrées de devises | |
Importations = Achats de biens et services | Exportations = Ventes de biens et services | |
Revenus nets provenant du reste du monde | ||
Achat de titres financiers | Ventes de titres financiers | |
Les conséquences pour la théorie keynésienne du maintien à zéro du solde de la balance courante des paiements sont extrêmement importantes.
En effet, nous avons vu que, dans une économie ouverte, l'épargne est égale à la somme de l'investissement et de l'excédent de la balance courante des paiements. Ainsi, lorsque le solde de la balance courante des paiements est nul, on retrouve l'équation keynésienne fondamentale :
Épargne = investissement
En cas d'équilibre de la balance courante des paiements, l'égalité entre l'épargne et l'investissement est donc à nouveau vérifiée. On peut en tirer deux conséquences :
Ainsi, dans un pays pratiquant un régime de changes flottants, lorsque l’État parvient à équilibrer les mouvements de capitaux, le solde courant de la balance des paiements est toujours nul. La conséquence en est que, dans ces circonstances, le modèle keynésien retrouve toute sa validité.
Auteur : Francis Malherbe