Lorsque le président de la République française, Nicolas Sarkozy, déclara officiellement le 8 janvier 2008 qu'il avait demandé à deux prix Nobel, l'américain Joseph Stiglitz et l'Indien Amartya Sen, d'entreprendre une réflexion pour améliorer le PIB afin qu'il intègre mieux le bien-être, il ne faisait qu'apporter le soutien de l'Etat à un courant de pensée presque aussi ancien que le PIB lui-même.
Depuis très longtemps, les critiques fusent de tout l'échiquier politique, des écologistes aux libéraux : le PIB ne tient pas compte des dommages collatéraux sur l'environnement et la santé de l'activité économique, il n'intègre ni le travail domestique, ni le travail bénévole, il ne déduit pas les pertes correspondant à la destruction des richesses naturelles, il ne prend pas en compte les inégalités sociales. Maintenant, l'accent est donc mis sur le fait qu'il ne prend pas en compte le bien-être.
Du point de vue du comptable national, une demande exprimée avec autant de force peut susciter de nombreuses interrogations et peut-être même de l'inquiétude si la réussite d'une carrière doit un jour passer par la capacité à faire entrer le bien-être dans le PIB. En effet, pour le comptable national, le PIB n'était jusqu'alors rien d'autre qu'une mesure de l'activité économique exprimée en unités monétaires, et cette mesure était largement indépendante des conséquences positives ou négatives de l'activité économique, tout comme les mesures réalisées par les météorologues sur pluviométrie ou la vitesse du vent sont indépendantes de leurs conséquences positives ou négatives. Vouloir intégrer le bien-être dans le produit intérieur brut soulève donc de nombreuses questions.
Tout d'abord, comment définir le bien-être, existe-t-il réellement un consensus sur la définition du bien-être d'un individu, et que signifie le bien-être d'une nation ? Ensuite, puisqu'il n'y a pas de comptabilité nationale sans mesure, le bien-être est-il mesurable, en quelle unité l'exprimer ? Enfin, il ne suffit pas de mesurer le bien-être, il faut pouvoir l'exprimer en unités monétaire pour l'intégrer au PIB. Qui est capable de répondre à la question : combien vaut votre bien-être ? Est-il vraiment raisonnable de penser que des experts, même les plus compétents, peuvent y apporter une réponse objective ? Comment doit-on agréger les mesures individuelles du bien-être ? Qui peut avoir la légitimité de décider que le bien-être d'un milliardaire vaut autant ou plus que celui d'un RMIste ?
Ces questions en appellent une autre : pourquoi rechercher un indicateur unique ? Il existe déjà certains indicateurs comme l'indice de développement humain, et, si ces indicateurs ne sont pas satisfaisants, n'est-il pas possible de compléter le PIB par une batterie d'autres indicateurs ? Alors pourquoi devrait-on se contenter d'un seul indicateur, ce qui implique de donner explicitement des poids relatifs à des domaines aussi différents que l'éducation et la santé ? Derrière l'idée que la performance économique et sociale d'un pays peut se décrire par un seul indicateur, n'y a-t-il pas l'idée qu'un consensus existe sur les buts à atteindre par la société, ou plutôt, n'y a-t-il pas l'idée que des experts sont capables de déterminer scientifiquement vers quels buts doit tendre toute société ? Cette conception est-elle réellement compatible avec les idéaux qui sont à la base de la démocratie ?
Ainsi, vous pouvez, si vous le souhaitez, vous exprimer sur trois questions :
Si vous souhaitez participer à ce débat, vous pouvez le faire en envoyant vos commentaires ou contributions à l'adresse suivante :
Auteur : Francis Malherbe
Petite réflexion à apporter au débat sur la mesure du bien être :
Il y a trois arguments qu'il me semble important de signaler dans le débat sur la mesure du bien être en termes monétaires :
Alexandre Bourgeois
Il est tout à fait exact que le PIB ne reflète ni le bien être, ni même l'utilité, comme le montrent très bien ces exemples, il ne mesure que l'activité économique même si celle-ci est inefficace ou nuisible. Le problème, quand on essaye de le corriger, c'est que l'on ne peut plus s'appuyer sur des bases objectivement mesurables et que l'on doit entrer dans des considérations morales ou politiques, sait-on réellement ce qu'est le "bien" être et par opposition le "mal" être, est-ce que cela a un sens de vouloir leur associer des mesures monétaires ?
Francis Malherbe