L'un des objectifs principaux de la comptabilité nationale est la mesure de la croissance de l'activité économique. Mais, pour réaliser cet objectif, elle se trouve confrontée à un problème majeur, toutes ses données sont exprimées en valeurs monétaires, c'est-à-dire mesurées à partir d'un étalon de mesure dont la valeur ne reste pas stable avec le temps.
Tous les pays ont connu suffisamment de périodes d'inflation pour savoir que la monnaie se déprécie parfois d'une manière dramatique. Si la monnaie n'est pas un bon étalon de valeur, comment mesurer la croissance ? C'est un problème qui a longtemps préoccupé les économistes et qui suscite encore de nos jours de nombreux débats car il s'agit d'un sujet particulièrement sensible.
S'il n'y avait qu'un produit, par exemple le blé, la situation serait relativement simple. Pour mesurer la croissance de la production, il suffirait de suivre l'évolution des quantités produites. Mais, malheureusement pour le comptable national, l'économie comporte plus d'un produit ! Supposons donc que l'économie produise non seulement du blé mais aussi du poisson. Il est, bien entendu, toujours possible de suivre les évolutions des quantités produites de blé et de poisson. Supposons donc que ces quantités évoluent de la manière présentée dans le tableau ci-dessous :
T1 | T2 | T3 | |
Blé | 200 | 240 | 200 |
Poisson | 100 | 120 | 150 |
T1 | T2 | T3 | |
Blé | 20% | -17% | |
Poisson | 20% | 25% |
Entre la période 1 et la période 2, les quantités de blé et de poisson évoluent toutes deux de 20%, il semble donc raisonnable de dire que la croissance de l'économie s'établit, elle aussi, à 20%. Mais, entre la période 2 et la période 3, les quantités de blé et de poisson évoluent différemment puisque les quantités de blé baissent de 17% alors que celles de poisson augmentent de 25%. Que dire de la croissance globale ? Il pourrait être tentant de considérer les quantités globales produites mais nous savons depuis l'école primaire qu'additionner des quantités de produits de nature différente n'a pas de sens.
Pour résoudre cette difficulté les comptables nationaux sont partis de l'équation de base dans le domaine des prix :
v = p . q
Cette égalité signifiant que la valeur monétaire (v) d'un produit est égale au produit de son prix (p) par sa quantité (q).
Lorsqu'il y a plusieurs produits, cette égalité devient :
V = Σi pi . qi
L'indice i désigne ici un produit donné. Pour différencier les périodes on peut également utiliser un exposant. Par exemple, la valeur à la période 1 s'écrit :
V1 = Σi pi1 . qi1
Si, dans les comparaisons de valeurs entre deux périodes, on veut éliminer l'effet de l'inflation des évaluations de la comptabilité nationale, un moyen simple consiste à valoriser les quantités des deux périodes aux mêmes prix. Par exemple, lorsque l'on cherche à comparer deux périodes successives, il est possible de valoriser les quantités de la deuxième période aux prix de la première période.
Les comptables nationaux introduisent donc la notion de volume qui peut être définie comme une valeur aux prix constants. Ainsi, le volume de l'ensemble des produits à la deuxième période est égal à :
Vol2 = Σi pi1 . qi2
Ce volume peut être comparé à la valeur de l'ensemble des produits à la période 1 aux prix courants, c'est-à-dire aux prix de cette même période 1, puisque ces deux grandeurs sont évaluées en utilisant toutes deux les prix de la même période.
Val1 = Σi pi1 . qi1
Supposons, par exemple, que les prix aux trois périodes soient les suivants :
T1 | T2 | T3 | |
Blé | 10 | 12 | 15 |
Poisson | 50 | 55 | 60 |
Nous pouvons calculer pour chaque période les valeurs aux prix courants ainsi que, pour les périodes 2 et 3, les valeurs aux prix de l'année précédente, c'est-à-dire les volumes :
T1 | T2 | T3 | |
Blé | 2000 | 2880 | 3000 |
Poisson | 5000 | 6600 | 9000 |
Total | 7000 | 9480 | 12000 |
T1 | T2 | T3 | |
Blé | - | 2400 | 2400 |
Poisson | - | 6000 | 8250 |
Total | - | 8400 | 10650 |
Pour calculer le taux de croissance de l'économie entre deux périodes il faut comparer la valeur de la première période au volume de la deuxième car tous deux ont été évalués aux mêmes prix.
Par exemple, entre la période 1 et la période 2, il faut comparer 7000 et 8400, ce qui donne un taux de croissance de 20%. Pour calculer le taux de croissance entre la période 2 et la période 3, il faut comparer 9480 et 10650, ce qui donne un taux de croissance de 12%.
Attention : il faut comparer le volume de l'année considérée à la valeur de l'année précédente. L'erreur classique est de comparer le volume d'une année à la valeur de cette même année.
Le volume de la production correspond à la valeur qu'aurait eue la production de la période si les prix n'avaient pas changé depuis la période précédente. Cette grandeur n'aurait que peu d'intérêt si elle n'était comparée aux valeurs de l'année précédente. Pour exprimer l'évolution des quantités la comparaison doit porter sur des évaluations aux mêmes prix, c'est-à-dire le volume de la période et la valeur au prix courants de la période précédente.
Habituellement, les comptables nationaux utilisent des indices pour exprimer les évolutions. Un indice peut être défini par le rapport entre deux valeurs d'une même grandeur à deux périodes différentes, la période courante et la période de base :
Indice = Valeur à la période courante / valeur à la période de base
Le plus souvent cet indice est multiplié par 100 pour ne pas faire apparaître un trop grand nombre de décimales, mais cette pratique complique les calculs et l'exposé, si bien que nous ne l'utiliserons pas.
Un indice de volume est donc obtenu en divisant le volume de la période courante par la valeur aux prix courants de la période de base.
Indice de volume = volume de la période courante / valeur de la période précédente aux prix courants
Mais les comptes nationaux peuvent être utilisés non seulement pour mesurer la croissance à partir d'indices de volume mais également pour suivre l'évolution du niveau général des prix. En effet, dans une économie, les prix des produits suivent des évolutions diverses mais il peut être intéressant, notamment pour les autorités monétaires, de calculer un indice synthétique de prix qui permette d'évaluer l'inflation.
Un indice synthétique de prix peut être obtenu en généralisant la relation fondamentale du domaine des prix :
Valeur = prix × quantité
Cette relation qui est vraie pour un produit déterminé permet, si l'on connaît la valeur et la quantité d'en déduire le prix. Pour un ensemble de produits, il n'est pas possible d'utiliser directement les quantités mais il est possible d'utiliser le volume. Aussi, la relation précédente peut-elle être généralisée en remplaçant les quantités par les volumes et en l'exprimant sous la forme d'indices :
Indice de valeur = indice de prix × indice de volume
L'indice de valeur est égal au rapport entre la valeur de la période courante exprimée aux prix courants et la valeur de la période de base exprimée aux prix de la période de base. Ainsi, si l'on connaît l'indice de valeur et l'indice de volume, il est possible d'en déduire l'indice des prix :
Indice de prix = indice de valeur / indice de volume
L'indice des prix peut se calculer directement à partir des valeurs de la période aux prix courants et celles aux prix de l'année précédente car la valeur de la période précédente aux prix courants apparaît au dénominateur à la fois dans l'indice de valeur et dans l'indice de volume.
Indice de prix = Valeur aux prix courants / valeur aux prix de l'année précédente
Ainsi, si nous reprenons l'exemple du blé et du poisson, les indices de volume et de prix sont les suivants :
T1 | T2 | T3 | |
Valeurs aux prix courants | 7000 | 9480 | 12000 |
Valeurs aux prix de l'année précédente | - | 8400 | 10650 |
Indices de volume | - | 120,0 | 112,3 |
Indices de prix | - | 112,9 | 112,7 |
Attention : contrairement à ce que nous avions fait pour le taux de croissance en volume, pour calculer un indice de prix, il faut comparer la valeur et le volume de la même année.
Pour un ensemble de produits désignés par l'indice i, nous pouvons calculer des indices de volume et de prix. Nous désignerons pour cela l'exposant 0 pour désigner la période de base et l'exposant 1 pour désigner la période courante. Nous pouvons écrire :
L'indice de volume est calculé en divisant la valeur de la période courante calculée aux prix de la période précédente par la valeur de la période précédente calculée aux prix de la période précédente. C'est-à-dire que l'indice de volume est calculé en figeant les prix dans le calcul des valeurs, les prix de la période précédente ayant été utilisés aussi bien pour le calcul de la valeur courante que pour celui de la période précédente.
On peut également écrire la formule de la manière suivante :
Dans cette dernière formule q1i/q0i désigne l'indice élémentaire de quantité pour le produit i. Chaque indice élémentaire est multiplié par un coefficient qui représente la part de la valeur du produit i dans l'ensemble des produits à la période de base. Puisque la somme des coefficients est égale à 1, l'indice de volume est la moyenne arithmétique pondérée des indices élémentaires de quantité. Un indice calculé de cette manière est dit un indice de Laspeyres.
Un indice de Laspeyres est un indice synthétique égal à la moyenne arithmétique des indices élémentaires correspondants pondérée par les valeurs de la période initiale. L'indice de volume calculé aux prix de la période précédente est un indice de Laspeyres.
L'indice de prix est calculé par le rapport entre l'indice de valeur et l'indice de volume, c'est-à-dire :
(Valeur1/Valeur0)/(Volume1/Valeur0) = Valeur1/Volume1 c'est-à-dire :
L'indice synthétique des prix est donc calculé en divisant la valeur de la période courante calculée aux quantités de la période courante par la valeur de la période précédente calculée aux quantités de la période courante. C'est-à-dire que les quantités ont été figées dans la comparaison des deux périodes, les quantités de la période courante ayant été utilisées à la fois pour le calcul de la valeur de la période courante et pour celui de la période précédente.
Il est intéressant de considérer l'inverse de cet indice, c'est-à-dire :
Dans cette dernière formule p0i/p1i désigne l'inverse de l'indice élémentaire de prix pour le produit i. Chaque inverse d'indice élémentaire est multiplié par un coefficient qui représente la part de la valeur du produit i dans l'ensemble des produits à la période courante. Puisque la somme des coefficients est égale à 1, l'inverse de l'indice de prix est la moyenne des inverses des indices élémentaires de prix. Un indice calculé de cette manière est dit un indice de Paasche.
L'indice de Paasche est un indice synthétique égal à la moyenne harmonique des indices élémentaires correspondants pondérée par les valeurs de la période finale, c'est-à-dire que l'inverse de l'indice de Paasche est la moyenne arithmétique pondérée des inverses des indices élémentaires. L'indice synthétique des prix associé à l'indice de volume calculé aux prix de l'année précédente est un indice de Paasche.
Les indices de Laspeyres et de Paasche ont en commun d'être très sensibles à la structure des valeurs à l'une des deux périodes, c'est-à-dire la période de base pour l'indice de Laspeyres, la période courante pour l'indice de Paasche. Lorsque ces deux périodes sont éloignées dans le temps, ces deux structures peuvent être très différentes, ce qui pose des problèmes.
Pour comparer les volumes et les prix sur de longues périodes les comptables nationaux utilisent donc des indices-chaînes. Un indice-chaîne de volume est calculé à partir des indices de volume de chaque période aux prix de l'année précédente et est défini comme le produit de ces indices sur l'ensemble de la période.
Il est possible de calculer des volumes à partir des indices-chaînes en multipliant la valeur de la période de base par l'indice-chaîne de volume. Le problème avec les volumes obtenus de cette façon est que, contrairement aux valeurs calculées aux prix de l'année précédente, ils ne respectent pas l'équilibre des comptes.
Pour le montrer, reprenons notre exemple et supposons que le blé et le poisson sont produits dans le pays, que le blé est exporté et que le poisson est une consommation finale des ménages. On peut établir le compte de biens et services aux prix de l'année précédente, ainsi que le montre le tableau suivant :
T1 | T2 | T3 | ||
Production | Valeur aux prix courants | 7000 | 9480 | 12000 |
Valeur aux prix de l'année précédente | - | 8400 | 10650 | |
Indice de volume | - | 1,200 | 1,123 | |
Consommation finale | Valeur aux prix courants | 5000 | 6600 | 9000 |
Valeur aux prix de l'année précédente | - | 6000 | 8250 | |
Indice de volume | - | 1,200 | 1,250 | |
Exportations | Valeur aux prix courants | 2000 | 2880 | 3000 |
Valeur aux prix de l'année précédente | - | 2400 | 2400 | |
Indice de volume | - | 1,200 | 0,833 |
On peut vérifier que l'équilibre du compte de biens et services est bien respecté aux prix de l'année de production pour les périodes T2 et T3, c'est-à-dire que la production est bien la somme de la consommation finale et des exportations.
De ce tableau on peut déduire des indices chaînes de volume pour comparer T1 et T3 en multipliant l'indice de volume aux prix de l'année précédente de T2 et T3. Ainsi, pour la production cet indice est égal à 1,200×1,123=1,348. On obtient le volume à la période T3 en multipliant la valeur à la période T1 par cet indice-chaîne. Pour la production, le volume à la période T3 est donc égal à 7000×1,348=9436,7. L'ensemble des volumes à la période T3 apparaît dans le tableau suivant :
Valeur T1 | Indice-chaîne | Volume T3 | |
Production | 7000 | 1,348 | 9436,7 |
Consommation finale | 5000 | 1,500 | 7500,0 |
Exportations | 2000 | 1,000 | 2000,0 |
Total emplois | 7000 | 9500,0 |
On constate que le compte de biens et services en volume calculé à partir de l'indice-chaîne n'est pas équilibré car il existe un écart entre la somme des ressources et celle des emplois.
Il n'est possible de définir des prix que pour des produits homogènes, c'est-à-dire des produits dont toutes les unités peuvent être considérées comme équivalentes. En effet, dans une économie de marché, si deux unités d'un produit sont considérées équivalentes, elles doivent avoir le même prix, ce prix qui est commun à l'ensemble de ses unités peut alors être attribué au produit lui-même. En revanche, si deux unités d'un produit ne sont pas équivalentes, elles doivent être considérées comme appartenant à deux produits différents.
Une autre manière de dire que deux unités de produit sont équivalentes est de dire qu'elles ont la même qualité, ainsi un produit homogène est constitué d'unités de même qualité. Cela implique que si deux unités sont de qualité différente, elles doivent être considérées comme appartenant à deux produits homogènes différents.
Lorsque la concurrence n'est pas parfaite, il est possible que deux unités d'un même produit considérées équivalentes par les clients soient, en fait, vendues à des prix différents. Par exemple, il est habituel de voir un même produit vendu dans deux points de vente différents sous des conditions identiques mais à des prix différents, simplement parce que les clients ont leurs habitudes et ne vérifient pas régulièrement le prix de tous les produits dans les différents points de vente.
Aussi, lorsque deux unités sont vendues à des prix différents mais auraient été vendues au même prix si la concurrence avait été parfaite, elles sont considérées équivalentes et donc appartenir au même produit homogène. Dans ce cas, le prix du produit homogène est défini comme le prix moyen de ses unités.
La comptabilité nationale considère ainsi que la qualité peut être définie à partir des facteurs suivants :
En effet, tous ces cas peuvent correspondre à des prix différents et cela même en situation de concurrence parfaite. Des différences dans ces facteurs correspondent ainsi à des produits homogènes différents.
Inversement, lorsque la différence de prix s'explique par un manque d'information, une discrimination limitant la liberté de choix des acheteurs ou l'existence d'un marché parallèle, on ne considèrera qu'un seul produit homogène dont le prix sera calculé par une moyenne.
Dans toutes les circonstances, la comptabilité nationale attribue un prix et un seul à chaque produit homogène.
Les produits homogènes n'existent habituellement pas naturellement mais ils sont le résultat d'un processus de standardisation. Ce processus garantit au produit un certain nombre de caractéristiques qui le définissent. Par exemple, les fruits peuvent être vendus par variété, comme la pomme golden ou la pomme gala, mais aussi par provenance, par taille, etc. L'important tant pour le vendeur que pour l'acheteur est que le produit soit suffisamment homogène pour qu'il ne soit pas nécessaire de discuter le prix de chaque pomme séparément.
La standardisation est extrêmement importante pour le comptable national car c'est elle qui permet le suivi de l'évolution des prix au cours du temps. En effet, supposons que l'on cherche à mesurer l'évolution des prix des pommes en un an en comparant les prix de septembre 2011 à ceux de septembre 2012. Cette comparaison ne peut se faire que pour des pommes de même qualité car on ne peut comparer une pomme golden de 2011 à une pomme gala de 2012. Mais comment peut-on s'assurer que les pommes dont on relève le prix en 2012 sont bien de la même qualité que celles dont on a relevé le prix en 2011 ? Une vérification directe est impossible car les pommes de 2011 n'existent plus en 2012.
La comparaison n'est rendue possible que par le processus de standardisation qui définit et maintient au cours du temps les caractéristiques précises des produits commercialisés. En fait, il serait impossible de mesurer l'évolution des prix et donc de calculer des taux de croissance en volume si la standardisation n'existait pas. Le problème, c'est que tous les produits ne font pas l'objet d'un processus de standardisation. De plus, l'apparition de nouveaux produits pose clairement un problème au comptable national.
En pratique, les produits sont trop nombreux pour que les comptables nationaux puissent mesurer l'évolution des prix de chacun d'eux. Ils vont donc regrouper les produits présentant des caractéristiques proches en utilisant des nomenclatures de produits. Au sein de chaque classe de la nomenclature, ils vont sélectionner un échantillon de produits homogènes définis par leurs caractéristiques et vont en suivre l'évolution des prix. Ils pourront ainsi calculer un indice des prix et en déduire un indice de volume s'ils disposent d'un indice de valeur.
En procédant ainsi, ils supposent que l'évolution des prix des produits qu'ils ne suivent pas est parallèle à celle des produits qu'ils suivent. Cette hypothèse s'appuie sur le fait que les prix des produits sont largement déterminé par leurs coûts et que ceux-ci évoluent sous l'influence de facteurs qui, comme les salaires, sont communs à l'ensemble des produits d'une même classe de la nomenclature.
Un indice de volume retrace, en fait, non seulement l'évolution des quantités, mais aussi un effet de structure. Ainsi, dans l'exemple suivant, on considère deux variétés de pommes, la golden et la gala, dont les prix sont différents mais qui restent stables d'une période à l'autre :
Golden | Gala | Total | ||
T1 | Quantité | 20 | 10 | 30 |
Prix | 10 | 15 | - | |
Valeur | 200 | 150 | 350 | |
T2 | Quantité | 10 | 20 | 30 |
Prix | 10 | 15 | - | |
Valeur | 100 | 300 | 400 | |
Volume | 100 | 300 | 400 |
Ici l'indice de volume est égal à 400/350 = 1,14. Cette croissance du volume provient d'un effet de structure puisque ni les prix, ni les quantités globales n'ont changé. La valeur s'est accrue uniquement parce que la proportion de la variété de pommes la plus chère a augmenté. Cet effet de structure est souvent qualifié d'effet qualité, ce qui nous amène à préciser le sens que les comptables nationaux donnent au mot qualité.
Le terme qualité correspond d'abord, en comptabilité nationale, à une extension de la notion de variété. Par exemple, le mot "pommes" est un terme générique qui désigne certains fruits. La golden et la gala sont deux variétés de pommes aux caractéristiques bien définies. La comptabilité nationale va aller plus loin et tenir compte des autres facteurs physiques comme la taille, la couleur, ainsi que des lieux, des moments de livraison et des différences dans les conditions de vente, c'est-à-dire de l'ensemble des facteurs qui sont susceptibles d'influer sur le prix du produit.
Dire que la qualité d'un produit s'améliore signifie, pour le comptable national, que ce produit n'est pas homogène mais qu'il est constitué de différents produits homogènes dont la proportion en produits les plus chers s'accroît. En pratique, cette situation se présente lorsque les comptables nationaux calculent un indice de volume en divisant un indice de valeur par un indice de prix, ce qui est le cas le plus fréquent puisque la méthode directe de calcul du volume supposerait de connaître les quantités de chaque produit homogène.
Très souvent, l'effet qualité provient non seulement d'une modification de la composition en produits homogènes existants mais également de l'apparition de nouveaux produits. En général, les comptables nationaux ne se préoccupent pas de l'apparition de nouveaux produits car, si l'on s'en tient à la définition stricte des produits homogènes, des produits nouveaux apparaissent chaque jour.
Par exemple, l'apparition d'une nouvelle option pour une voiture devrait correspondre à l'apparition d'un nouveau produit homogène puisque le prix de la voiture avec et sans cette option est différent. Mais, en calculant l'indice de volume à partir d'un indice de valeur et d'un indice de prix mesuré à partir d'un échantillon de produits, le comptable national considère que toute variation de valeur qui ne provient pas d'une variation de son indice de prix correspond soit à une variation des quantités, soit à une modification de structure qu'il qualifie d'effet qualité, et il ne cherche pas à séparer ces deux facteurs.
En procédant ainsi, il suppose que les prix des produits ne figurant pas dans l'échantillon de produits utilisé pour le calcul de l'indice des prix évoluent comme cet indice, c'est-à-dire qu'il impute implicitement aux nouveaux produits des prix à la période de base correspondant à une évolution identique à celle de l'indice de prix utilisé. Par exemple, si l'indice des prix de voitures a augmenté de 10% entre la période de base et la période courante, le comptable national recalcule implicitement un prix de la voiture avec option pour la période de base en divisant le prix de la période courante par 1,10.
Cette méthode de calcul des prix des nouveaux produits à la période de base est cependant remise en cause pour certains produits qui évoluent très rapidement, par exemple les ordinateurs. Dans ce cas, les comptables nationaux vont utiliser des indices de prix particuliers qualifiés d'indices de prix hédoniques. Les prix hédoniques ont été créés, à l'origine, pour déterminer le prix des biens immobiliers. En effet, il est rare de trouver deux biens immobiliers identiques si bien qu'une méthode intéressante pour évaluer le prix d'un bien particulier est de le déterminer à partir de ses caractéristiques.
Par exemple, le prix d'un logement dépend très largement d'un certain nombre de facteurs comme son nombre de pièces, sa superficie, son emplacement, etc. Des méthodes économétriques basées sur l'étude des caractéristiques et des prix des logements vendus vont permettre de déterminer quel poids à attribuer à chaque caractéristique dans la détermination du prix. Il devient alors possible d'estimer la valeur de marché de tout logement à partir de ses caractéristiques.
Cette méthode a été reprise pour évaluer le prix des nouveaux produits à la période de base. Par exemple, supposons que le prix d'un ordinateur soit déterminé à partir de la vitesse de son microprocesseur et de la capacité de son disque dur. Les méthodes économétriques permettent de reconstituer le prix de tout ordinateur à la période de base à partir de ces caractéristiques et donc de calculer le prix qu'aurait eu à la période de base un ordinateur qui n'est apparu qu'à la période courante. Il est dès lors possible de calculer un indice de prix et de l'utiliser pour déterminer un indice de volume.
En fait, les indices de prix hédoniques ont été utilisés parce qu'ils font apparaître dans le cas des ordinateurs des baisses de prix beaucoup plus importante que la méthode habituelle et qu'ils se traduisent donc par une croissance en volume beaucoup plus importante. On peut cependant se poser la question de la signification réelle des résultats obtenus par cette méthode.
Considérons, en effet, deux pays. Le premier pays se caractérise par le fait que les consommateurs sont très attachés à la performance des ordinateurs et qu'ils sont donc prêts à payer cher pour disposer des meilleures performances. Le second pays se caractérise par le peu d'intérêt que les consommateurs attachent à la performance des ordinateurs, ce qui leur importe avant tout c'est le prix, si bien que le prix des ordinateurs vendus dans ce pays est totalement indépendant de leurs performances.
Supposons également que deux ordinateurs existent à la première période, Ordi1 qui est un ordinateur d'entrée de gamme bon marché et Ordi2 qui est un ordinateur de hautes performances mais cher. Dans le premier pays, les clients achètent principalement Ordi2 et dans le second pays, ils préfèrent Ordi1. Les prix relatifs des deux ordinateurs dans les deux pays sont différents car les producteurs d'Ordi2 ont été obligés d'aligner leurs prix sur ceux d'Ordi1 dans le deuxième pays pour en vendre quelques-uns alors qu'ils peuvent réaliser des profits importants dans le premier pays.
A la deuxième période apparaît un nouvel ordinateur, Ordi3 dont les performances sont identiques à celles d'Ordi2 mais dont le coût de production est beaucoup plus faible que celui d'Ordi2 et même plus faible que celui d'Ordi1, si bien que ce nouvel ordinateur va s'imposer dans les deux pays. Les méthodes hédoniques peuvent être utilisées pour estimer quel aurait été le prix d'Ordi3 à la période de base dans les deux pays. Dans les deux pays, elles imputeront à Ordi3 un prix égal à celui d'Ordi2, puisque les deux ordinateurs ont les mêmes performances. Mais ce prix est différent dans les deux pays, il est égal à 100 dans le premier pays et à 50 dans le second. Les deux tableaux ci-dessous retracent l'évolution des ventes et des prix dans les deux pays :
Ordi1 | Ordi2 | Ordi3 | Total | ||
T1 | Quantité | 10 | 90 | 0 | 100 |
Prix | 50 | 100 | 100 | - | |
Valeur | 500 | 9000 | 0 | 9500 | |
T2 | Quantité | 0 | 10 | 90 | 100 |
Prix | 40 | 50 | 50 | - | |
Valeur | 0 | 500 | 4500 | 5000 | |
Volume | 0 | 1000 | 9000 | 10000 |
Ordi1 | Ordi2 | Ordi3 | Total | ||
T1 | Quantité | 90 | 10 | 0 | 100 |
Prix | 50 | 50 | 50 | - | |
Valeur | 4500 | 500 | 0 | 5000 | |
T2 | Quantité | 10 | 0 | 90 | 100 |
Prix | 50 | 50 | 50 | - | |
Valeur | 500 | 0 | 4500 | 5000 | |
Volume | 500 | 0 | 4500 | 5000 |
Dans le premier pays la croissance en volume est égale à 10000/9500-1=5,3%, dans le deuxième pays la croissance est nulle.
Supposons maintenant que les deux pays n'en forment, en fait, qu'un un seul. La principale différence avec la situation différente est que l'existence d'un marché unique interdit des prix différents pour le même ordinateur. Ainsi, Ordi2 est vendu au prix de 100 car ses producteurs n'ont plus intérêt à aligner leurs prix sur ceux d'Ordi1. L'évolution des prix et des ventes est présentée dans le tableau suivant :
Ordi1 | Ordi2 | Ordi3 | Total | ||
T1 | Quantité | 100 | 100 | 0 | 200 |
Prix | 50 | 100 | 100 | - | |
Valeur | 5000 | 10000 | 0 | 15000 | |
T2 | Quantité | 10 | 10 | 180 | 200 |
Prix | 40 | 50 | 50 | - | |
Valeur | 400 | 500 | 9000 | 9900 | |
Volume | 500 | 1000 | 18000 | 19500 |
La croissance en volume est maintenant égale à 19500/15000-1=130%, c'est-à-dire très supérieure à ce qu'elle est dans les deux pays lorsqu'ils sont séparés. Cette croissance très forte s'explique par le fait que, dans ce cas, la méthode hédonique impute aux deux groupes de consommateurs la même préférence pour les ordinateurs à hautes performance alors que cette préférence ne concerne, en fait, qu'un seul groupe.
On peut donc se demander si les pays qui appliquent effectivement cette méthode pour les ordinateurs ne surestiment pas leur croissance en volume et ne sous-estiment pas leur inflation.
Ces remarques ne remettent cependant pas en cause l'utilité des méthodes hédoniques, ils soulignent seulement la nécessité de les utiliser avec prudence lorsque les consommateurs ne peuvent être considérés comme un ensemble homogène.
Les services non marchands, c'est-à-dire l'essentiel des services publics et des services rendus par les institutions sans but lucratif, se caractérisent par le fait qu'ils sont mis à la disposition des usagers gratuitement ou à un prix non significatif car largement inférieur à leur coût de production. Dans ces conditions, soit il n'est pas possible de leur associer directement des prix, soit les prix ne reflètent aucunement les conditions de l'offre et de la demande. La méthode exposée précédemment pour le calcul du volume de la production ne peut donc s'appliquer directement car elle suppose l'existence de prix significatifs.
Mais l'inexistence de prix de marché n'est pas le seul problème dans le cas des services non marchands car il est souvent très difficile de définir des unités de quantité pour ces services. Par exemple, peut-on simplement définir des indices de quantité pour les services de défense nationale ou de police ?
Dans un premier temps, les comptables nationaux se sont donc orientés vers d'autres solutions. Puisque la valeur de la production des services non marchands est évaluée par la somme des coûts, ils ont calculé le volume de la production des services non marchands en divisant chaque élément du coût de la production par un indice de prix correspondant, c'est-à dire qu'is ont calculé les coûts aux prix de l'année précédente.
Cette méthode est la méthode input et c'est la seule qui ait été appliquée pendant des années par les comptables nationaux. Un exemple méthode input est donné dans le tableau suivant :
Valeur aux prix courants | Indice de prix | Volume | |
Consommation intermédiaire | 1200 | 1,04 | 1153,8 |
Rémunération des salariés | 3500 | 1,06 | 3301,9 |
Consommation de capital fixe | 800 | 1,02 | 784,3 |
Production | 5500 | 5240,0 |
La méthode input présente l'inconvénient majeur de ne faire apparaître aucune évolution significative de la productivité. En effet, la mesure la plus courante de la productivité consiste à diviser le volume de la valeur ajoutée par le nombre d'heures travaillées. Or, la majeure partie de la valeur ajoutée des services publics est constituée de la rémunération des salariés, si bien que l'évolution de la valeur ajoutée reste quasiment parallèle à celle des salaires et ceci aussi bien aux prix constants qu'aux prix courants.
Dans ces conditions, si l'adoption de la méthode input pour les services publics permettait de résoudre le problème du calcul du volume de la production, elle n'était d'aucune utilité pour la mesure de la productivité. Pire, en supposant que les gains de productivité sont toujours nuls pour les services publics, elle pesait à la baisse sur la mesure de l'évolution des gains de productivité de l'économie nationale considérée dans son ensemble.
L'impossibilité de mesurer la productivité avec la méthode input a généré une pression de plus en plus forte pour l'adoption de nouvelles méthodes et ce tant de la part des économistes que des décideurs politiques. Puisque la mise en œuvre de la méthode input s'expliquait par le manque d'indicateurs de quantité pour les services publics, le premier effort porta sur la recherche de domaines pour lesquels il serait possible de définir des unités de quantité. Ainsi, deux types de services publics furent distingués, les services publics collectifs et les services individuels.
Les services collectifs sont fournis simultanément à tous les membres de la communauté ou d'un de ses sous-groupes, ils comprennent, par exemple, les services de défense, de police et de justice. Ils se caractérisent notamment par le fait que leur fourniture à un individu ne réduit pas les quantités disponibles pour les autres individus. Au contraire, les services individuels sont acquis par les ménages dans le but de satisfaire les besoins de leurs membres, leur acquisition par un ménage excluant toute possibilité d'acquisition par d'autres ménages.
Pour les services collectifs il a été décidé de continuer, au moins dans un premier temps, d'appliquer la méthode input car la définition d'indicateurs de quantité pour ces services soulève trop de problèmes. L'une des principales difficultés relevées par les comptables nationaux réside dans le caractère préventif des services collectifs : le but de la police est la prévention des crimes, celui de l'armée la prévention de la guerre. Il apparaît dès lors difficile d'associer des quantités à ces services.
Pour les services individuels, des unités de quantité furent définies pour les services d'éducation et de santé. Ces unités sont définies à un niveau fin de la nomenclature d'activités, les principaux étant le nombre d'heures de cours suivies par les élèves dans le domaine de l'éducation et le nombre de traitements dispensés aux patients dans le cas des services de santé.
Dès lors que l'on a défini des unités de quantité pour ces services, il suffit de déterminer des prix pour pouvoir appliquer la méthode de calcul du volume. Pour cela, il est possible de raisonner par analogie avec le secteur marchand. Dans le domaine marchand, le prix d'un produit représente la quantité de monnaie que les consommateurs acceptent de dépenser pour acquérir une unité du produit, dans le secteur non marchand le coût unitaire d'un service correspond à la quantité de monnaie que les citoyens acceptent collectivement de dépenser pour acquérir ce produit. Ainsi, de ce point de vue, les coûts unitaires des services non marchands peuvent être considérés comme leurs prix.
Puisque nous disposons de quantités et de prix, il est possible de calculer le volume de la production des services non marchands de l'éducation et de la santé en pondérant les quantités produites de chaque service par leurs coûts. Cette méthode de calcul direct du volume à partir des unités de quantité et des prix est connue sous le nom de méthode output.
La mise en œuvre de la méthode output a cependant posé des problèmes dans certains pays. Ainsi, en Grande-Bretagne, l'augmentation des dépenses publiques de santé ne s'accompagnait pas d'un accroissement aussi important du volume de la production tel qu'il était mesuré par la méthode output, ce qui se traduisait par une dégradation de la productivité du service public de santé. La question s'est donc posée de savoir si cette dégradation apparente était bien réelle ou si elle s'expliquait par une inadéquation de l'instrument de mesure.
Dans le domaine des soins hospitaliers, par exemple, l'indicateur de quantité retenu est le nombre de traitements. Si le coût unitaire des traitements augmente ce n'est pas nécessairement parce que le service public de santé devient moins efficace, ce peut être simplement parce qu'un plus grand nombre de traitements coûteux sont dispensés. Si ces traitements coûteux sont également plus efficaces, c'est-à-dire de meilleure qualité, l'accroissement du coût moyen des traitements n'est pas nécessairement le signe d'une dégradation de la productivité du service de santé. C'est ainsi que s'est posé le problème de la qualité : il ne suffit pas de définir des indicateurs de quantité pour les services publics, il faut aussi tenir compte de leur qualité pour calculer correctement l'évolution de la productivité.
Ainsi que nous l'avons vu, la question de la mesure du volume des services non marchands est étroitement liée à celle de la mesure de la productivité. L'introduction de la notion de résultat (outcome) vient de l'idée suivante : puisque la mesure du volume avec la méthode output ne permet pas de mesurer d'une manière satisfaisante la productivité, c'est-à-dire l'efficacité, déterminons directement par d'autres méthodes l'efficacité et nous pourrons en déduire une mesure du volume. L'avantage de cette approche était de pouvoir s'appuyer sur les nombreuses études consacrées à l'efficacité des services publics.
Trois niveaux sont ainsi définis. Le premier est la production, il correspond à l'activité des services publics, le deuxième est le résultat, le troisième l'utilité. Par exemple, dans le domaine de l'éducation, la production correspond au travail des professeurs, le résultat est le niveau scolaire des élèves. Dans le domaine de la santé, la production correspond au travail des médecins, le résultat est l'état de santé de la population. L'intérêt de la notion de résultat réside dans le fait que l'utilité est directement fonction du résultat et non de l'activité.
L'idée de base de la méthode basée sur le résultat, qualifiée de méthode outcome, est de définir la qualité des services non marchands à partir de leur résultat, ainsi deux unités de services publics seront considérées comme équivalentes si elles donnent le même résultat. Mais le niveau d'éducation et l'état de santé dépendent de nombreux facteurs et non seulement de l'action des services publics.
Aussi, le résultat de la production des services publics est-il défini non par la variation du niveau d'éducation ou de l'état de santé de la population, mais par la partie de cette variation s'expliquant par la seule action des services publics. Si l'on est capable de définir des indicateurs quantitatifs représentatifs, par exemple, du niveau d'éducation de la population, il est possible également par des méthodes économétriques de mesurer l'impact des services publics sur ces indicateurs et donc d'en déduire une évolution du volume de la production de services publics.
La méthode outcome n'a cependant pas réellement réussi à s'imposer et cela pour différentes raisons. Tout d'abord il est clair que les méthodes basées sur le résultat s'éloignent assez sensiblement des méthodes pratiquées dans le domaine des biens et services marchands. En effet, les méthodes basées sur le résultat supposent connus les objectifs que doivent atteindre les établissements publics et cherchent, en fait, à mesurer le degré de réalisation de ces objectifs. Par exemple, si un traitement destiné à combattre le cancer ne fait que guérir le rhume, on considérera que son résultat n'est pas satisfaisant. Son résultat aurait été positif s'il avait été destiné à combattre le rhume. On ne peut donc juger d'un résultat que par rapport à un objectif.
Dans le domaine marchand, la comptabilité nationale ne cherche jamais à déterminer quels sont les objectifs des différents agents économiques ni s'ils sont satisfaits, elle se contente de mesurer des prix et des volumes qui sont objectivement observables par les statisticiens.
La nécessité de préciser les objectifs poursuivis par les services publics est certainement le principal point faible de la méthode basée sur le résultat. Par exemple, quel est l'objectif du service de santé ? Allonger la durée de vie, lutter contre les maladies ? On voit bien qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible de définir un objectif unique et si l'on accepte de reconnaître la multiplicité des objectifs se pose, pour le comptable national, le problème de leur pondération.
Par exemple, faut-il donner plus de poids à une année de vie en bonne santé qu'à deux années de vie en mauvaise santé ? Qui peut avoir la légitimité pour répondre à cette question ? Ainsi, l'expérience des pays européens engagés dans ces travaux a montré qu'il était pratiquement impossible de parvenir à un consensus sur la question des objectifs. De plus, même lorsqu'un accord pouvait être trouvé sur un objectif il était très difficile de déterminer un indicateur numérique pertinent pour le mesurer. Enfin, les méthodes basées sur le résultat font peser une lourde responsabilité sur les comptables nationaux car de leurs estimations peuvent dépendre des décisions importantes alors que les données de base susceptibles de les fonder sont extrêmement fragiles.
La méthode de calcul de la croissance est donc extrêmement simple, elle repose cependant sur des présupposés qu'il est préférable de comprendre. En effet, l'introduction de la notion de volume a pour but d'éliminer l'effet de la dépréciation ou de l'appréciation de la monnaie. Mais que signifie exactement la dépréciation de la monnaie ? La valeur de la monnaie ne peut, en réalité, être définie que par rapport à ce qu'elle permet d'acquérir. Or, lorsque nous considérons un produit particulier, par exemple, le blé, le fait qu'une unité de monnaie puisse s'échanger contre plus ou moins d'unités de blé peut signifier que la valeur de la monnaie a changé, mais elle peut également indiquer une appréciation ou une dépréciation du blé.
Une appréciation ou une dépréciation n'a de sens que par comparaison avec un étalon de mesure qui est supposé conserver une valeur stable au cours du temps. Si cet étalon est la monnaie, il est clair qu'une augmentation du prix du blé sera interprété comme une appréciation du blé. Cependant, très souvent et plus ou moins consciemment, la valeur du blé sera jugée non pas par rapport à la monnaie, mais par rapport à son utilité, par exemple l'utilité du blé peut baisser parce que les consommateurs préfèrent le poisson. L'utilité pourrait donc être considérée comme le véritable étalon de valeur qui permettrait de déterminer tout aussi bien la valeur des produits que celle de la monnaie.
L'utilité d'un produit n'est pas mesurable directement mais la théorie économique établit un lien entre la notion d'utilité et celle de prix. En effet, si l'on suppose l'existence d'une fonction d'utilité pour chaque consommateur, la théorie microéconomique montre que, dans une économie de concurrence parfaite et lorsque l'utilité marginale de chaque produit décroît avec les quantités consommées, un consommateur donné va déterminer les quantités de produits qu'il consomme de telle manière que l'utilité marginale de chaque produit soit proportionnelle à son prix. Ainsi, dans notre exemple, à la période de base, le fait que le prix du poisson soit égal à 5 fois celui du blé signifie, si les hypothèses précédentes sont vérifiées, que l'utilité des derniers 200 grammes de poisson achetés est équivalente à celle du dernier kilo de blé acheté.
Bien entendu, l'utilité relative dépend des quantités consommées, par exemple, si un consommateur ne dispose que de blé il sera prêt à attribuer une utilité très importante au poisson et à le payer cher comparativement au blé, mais plus il consomme de poisson moins il sera prêt à payer pour en consommer davantage. Cette analyse est très importante dans la mesure où elle permet de mieux comprendre le fonctionnement des marchés et la détermination des prix mais le comptable national peut-il réellement en tirer profit pour résoudre son problème d'évaluation de la croissance économique ?
L'utilité n'est pas mesurable directement mais de nombreux chercheurs étudient les moyens de la mesurer de manière indirecte. Faisons leur donc confiance et supposons qu'ils déterminent pour chaque ménage une fonction d'utilité. Un premier point doit être noté : une différence essentielle entre le prix et l'utilité est que, pour un ménage donné, le prix est le même pour chaque unité consommée alors que l'utilité d'une unité diminue avec le nombre d'unités consommées. Cette propriété de l'utilité peut s'avérer intéressante dans les études de la consommation mais elle devient un problème majeur lorsque l'on se place du point de vue de la production.
En effet, l'un des intérêts de la notion de volume pour les études portant sur le système de production est de permettre la mise en évidence d'un lien entre le niveau de la production et les moyens humains et matériels nécessaires pour l'obtenir. En général, ce lien est relativement proche d'une relation de proportionnalité, si bien que pour que la production en quantité d'un produit puisse doubler il faut également approximativement doubler le nombre d'heures travaillées. Le problème est que, parallèlement, l'utilité de la production ne double pas, mais ne s'accroît, par exemple, que de 80%, si bien qu'il est difficile d'établir un lien direct entre utilité et moyens de production. L'introduction de la notion de volume indépendamment de la notion d'utilité présente donc l'avantage d'être pertinente aussi bien pour l'approche production que pour l'approche demande.
Un autre problème avec la notion d'utilité est la difficulté de définir une fonction d'utilité pour l'ensemble des consommateurs. La notion de fonction d'utilité provient de la théorie microéconomique et celle-ci suppose l'existence d'une fonction d'utilité pour chaque consommateur et non pour l'ensemble des consommateurs, elle reconnaît même l'impossibilité de définir une fonction d'utilité collective.
En pratique, de nombreux économistes font cependant reposer leurs travaux sur l'hypothèse d'une fonction d'utilité globale et cette pratique est devenue si répandue que peu jugent nécessaire de la justifier. Pourtant, pour le comptable national, il est essentiel de s'appuyer sur des mesures objectives qui ne reposent pas sur des hypothèses qu'il est impossible de vérifier et qui sont sujettes à controverses. C'est le cas précisément de l'utilisation d'une fonction d'utilité collective, en particulier parce que l'agrégation des fonctions d'utilité soulève clairement la question du poids à donner à chaque consommateur.
Pour l'ensemble de ces raisons, les comptes nationaux doivent éviter de reposer sur des hypothèses concernant les fonctions d'utilité et cela même s'il est clair que la valeur d'un produit est directement liée à son utilité. La notion de volume utilisée par les comptables nationaux ne prétend donc pas mesurer une quelconque utilité, elle est uniquement une généralisation de la notion de quantité.
Auteur : Francis Malherbe